Amis Cagouillards, je vous invite à partager une nouvelle fois quelques jours passés loin de l'agitation de la Métropole, les pieds dans les neiges de la Cordillère Blanche, et la tête si près des étoiles australes...

27 et 28 juillet

Tout commence comme un voyage au Pérou : 22H30 heure locale (beaucoup plus heure de Paris, quittée 17 heures plus tôt), aéroport de Lima. Le tapis à bagages tourne désespérément à vide, et nos sacs à dos ont apparemment loupé la correspondance à Atlanta. Un petit air de déjà vu (deux ans auparavant, quasiment jour pour jour, j'attendais aussi en vain devant le même tapis, à l'arrivée du même vol Delta en provenance d'Atlanta...). Mais on ne va pas commencer à stresser dès le début des vacances ; nous voyagerons plus légers jusqu'à Huaraz !

En cette fin de mois de juillet, c'est l'effervescence dans tout le pays, en pleine célébration des Fiestas Patrias (çà ressemble à un 14 juillet qui durerait comme un long pont du mois de mai). Le bus qui nous amène à Huaraz est donc bondé, ce qui ne semble pas gêner mes quatre compagnons qui passeront l'essentiel du voyage à essayer de digérer le décalage horaire, en ronflant allégrement.

Nous arrivons dans un Huaraz en fête, en plein milieu d'un concert de hard rock donné par un groupe local sur la Plaza de Armas . Ah le Pérou, ce n'est plus ce que c'était : où sont les flûtes de pan et les charangos  ? En fait, rien ou presque n'a changé depuis mes premières aventures dans le coin il y a cinq ans déjà : les mêmes enseignes tape-à-l'oeil, les mêmes rues défoncées, les mêmes restos spécialisés dans le lomo a lo pobre , si réconfortant après une virée en altitude !

Huaraz. En y réfléchissant, j'y suis passé plus souvent qu'à Cham' ou qu'à la Bérarde.

Nous rejoignons aussitôt l' hostal de mon amie Zarela, que je recommande chaudement au passage (Zarela ZAMORA, Calle Julio Arguedas 1263, tél. : (51-44) 72 16 94, zarezamora@eudoramail.com). Séquence retrouvailles et embrassades.

29 et 30 juillet

Après une bonne nuit bienvenue pour remettre les estomacs et les horloges internes de chacun à l'heure, nous voilà dans le marché central de Huaraz, point de passage obligé de toute expédition dans la Cordillère Blanche. Là encore, rien n'a changé : les mêmes amoncellements de pâtes, soupes, conserves et autres fruits secs, entre deux étals de langues de boeufs ou de fromages, le tout au milieu d'un ballet incessant de mouches.

Dans l'après-midi, nous rejoignons Felipe, un pote chilien, à la maison des guides. Il est en train de vérifier si la voie qu'il vient de parcourir en solo quelques jours auparavant dans la face sud de l'Ishinca est bien une première. Malheureusement, le guide de permanence n'a pas l'air plus renseigné que lui. Allez, on lui accordera le bénéfice du doute ! Et puis, ce manque d'informations fiables sur les montagnes contribue aussi à leur charme...

Ce n'est que dans la soirée, après trois (quatre ?) coups de fil et fortes palabres, que nous pouvons enfin récupérer nos 90 kilos de bagages et de matériel à la gare routière. Un dernier bon repas, les sacs bouclés tard dans la nuit, quelques heures de repos à l'horizontale, et nous voilà de nouveau debout, les yeux bouffis mais vite d'aplomb après avoir englouti l'incontournable desayuno americano (Thé ou café, pain, beurre et confiture, jus d'orange frais, et une énorme assiette d'oeufs brouillés et de patates sautés : le p'tit déj' de tout gringo qui se respecte au Pérou). El señor Juan est là avant sept heures avec son minibus pour nous conduire tous les six jusqu'au village de Huillac, 3400 mètres d'altitude, à 35 kilomètres et une petite heure de route de Huaraz. Stéphanie, Laurent, Pascale et Moïse, qui découvrent le Pérou, manquent d'attraper un torticolis à chaque nouveau virage. Quant à Felipe, en bon vieil habitué de ces vallées, il ronfle allègrement au fond du minibus, vautré sur les sacs.

Malgré l'heure matinale, tout le monde s'active déjà dans les champs, et les gamins sont déjà aux abois aux abords des hameaux, accostant les trekkeurs au son des «  regalame  ! » (« Fais moi un cadeau ! ») qui nous accompagneront pendant ces quelques heures. Au milieu du village de Huillac, un tronc d'eucalyptus en travers du chemin marque le début du trek qui nous mènera jusqu'au camp de base, 1000 mètres plus haut. Après un passage obligé au bureau d'enregistrement du Parc National du Huascaran (65 Soles l'entrée, soit 25 Euro, dont on comprendra plus tard dans l'après midi à quoi il servent), nous voilà sacs au dos, le sourire aux lèvres et les pieds dans la poussière, à remonter la vallée au milieu des senteurs chaudes d'eucalyptus.

L'état de grâce dure bien peu sous le poids des sacs. Huit jours de provisions, les cordes, tout le matériel technique... Malgré tous les progrès qu'ont fait les fabricants de sacs à dos ces dernières années, 30 kilos resteront toujours 30 kilos ! Que n'ai-je accepté l'offre de cet arriero tout à l'heure au village qui, pour trois francs six sous (soit à peine 50 cent d'Euro !), nous proposait quelques ânes bâtés. Mais - orgueil, plaisir masochiste, intégrisme montagnard, ou avarice auvergnate ? - nous avons préféré charger nos sacs nous-mêmes.

Et au bout d'une heure, les fiers conquérants de l'inutile ont laissé place à une bande de traîne-koflachs grommelant. « - Pu..., si j'avais su ; tu parles d'une acclimatation !  ; - Combien t'as dit, Arnaud, quatre heures ? ; - On n'aurait pas pris trop de pain par hasard ?... ». Après avoir mordu violemment la poussière ; Moïse se décide enfin à lacer correctement ses coques plastiques. Même le jeune et fringuant Felipe craque à son tour à la vue d'un beau rocher surplombant (il faut dire, pour sa décharge, qu'il n'a dormi qu'une heure cette nuit, Fiestas Patrias obligent !). Sa sieste durera une bonne partie de l'après-midi, et nous ne le reverrons qu'à la nuit tombée, au camp de base. Quant au reste de l'équipe, çà ne vaut pas beaucoup mieux. Il n'y a que Pascale, qui ne dépare pas de son sourire émerveillé, malgré son sac Cherokee 70 litres gonflé à bloc !

Il faut dire qu'à chaque détour du sentier, la quebrada (vallée encaissée) dévoile ses charmes : bientôt les zones cultivées et les bosquets d'eucalyptus sont derrière nous, et nous pénétrons dans une véritable forêt de queñuales (ces arbres, à l'écorce plus fine que des pelures d'oignon, poussent jusqu'au camp de base de l'Alpamayo, à plus de 4500 mètres d'altitude), qui nous ferait presque oublier l'altitude ! Après un étranglement entre des tours et des parois de granit verticales (qui n'attendent que des ouvreurs et leurs étriers...), la vallée s'élargit et s'aplanit enfin (ouf !). Déjà les premiers nevados apparaissent au loin : séquence émotion. J'en ai des frissons dans les piolets !!!

Ci et là, nous croisons quelques vaches maigrichonnes (l'herbe n'est pas très grasse par ici), quand tout à coup, nous tombons sur une armée de Péruviens en bleu de travail et casque jaune aux couleurs du Parc National. Mais que font-ils à tourner tous en rond comme celà ? Après une observation longue et minutieuse, il semblerait qu'ils travaillent (enfin, qu'ils s'occupent...) à l'entretien du chemin qui mène au camp de base. Mais il me faut leur demander pour en avoir le coeur net, tant cela relève de la caricature : un qui bosse et dix qui regardent ! Voilà donc à quoi servent les 65 Soles que nous avons laissés en bas...

Après moult pauses, nous arrivons enfin, sous un ciel menaçant, au camp de base de l'Ishinka, situé à 4300 mètres d'altitude. Il y a déjà une douzaine de tentes de part et d'autre du torrent, et même un refuge à quelques centaines de mètres de là (un des deux seuls refuges de la Cordillère Blanche, avec celui du Pisco, construits entre 1997 et 2000, en collaboration avec le Club Alpin Italien). Un bon pique-nique et une petite sieste font que les traits des uns et des autres se relâchent enfin, jusqu'à ce que j'annonce le programme du lendemain : lever à trois heures pour un petit sommet d'acclimatation, l'Urus, 5415 mètres, que l'on aperçoit là-haut, tout là-haut, au-dessus d'une moraine in-ter-mi-na-ble ! Le sourire de Laurent se crispe, l'estomac de Stéphanie se noue, Moïse en avale de travers.

31 juillet

« Ti.ti.ti.ti, ti.ti.ti.ti, .. », il est trois heures, le camp de base de l'Ishinka s'éveille. Nous ne serons finalement que quatre à prendre le départ sous un beau ciel étoilé ; cette première nuit au dessus de 4000 mètres aura été fatale à Stéph et Laurent qui préfèrent l'austérité d'une grasse mat' dans leurs duvets à la joie d'un montée vivifiante vers les neiges éternelles de l'Urus.

Mais qu'elle est raide cette moraine : heureusement que la portée de nos frontales ne nous permet pas d'en voir le bout ! Vers six heures, les sommets s'éclairent derrière nous. Peu avant de prendre pied sur le glacier, et après avoir grimpé les derniers blocs saupoudrés de neige fraîche tombée la veille, le peloton se scinde en deux : Moïse et Pascale attendront ici le lever du soleil, tout heureux déjà d'avoir atteint la barre des 5000 mètres. Je pousse l'échappée sommitale avec Felipe : quelques pentes faciles de neige, une belle arête, un peu de rocher, et nous voilà au sommet, splendide belvédère sur les nevados avoisinants ; une belle brochette de 6000 ! Le Copa, le Ranrapalca, le Palcaraju, et surtout le Tocllaraju (6034 mètres) et sa splendide face ouest, notre objectif des prochains jours. La descente est avalée au pas de course, le coeur et le dos légers.

En début d'après-midi, nous retrouvons Stéph et Laurent au camp de base. Ils reviennent, enchantés eux aussi, d'une ballade où ils ont rencontré leurs premières viscaches (mi lapin, mi écureuil, ce sont les marmottes locales). Pas de doute, entre notre joyeuse bande de randonneurs vendéens et la Cordillère Blanche, la sauce a pris ! Ce soir ce sera le dernier repas "communautaire", avant la redescente vers Huaraz, demain, des trois randonneurs qui poursuivront leur découverte du massif sur les sentiers du trek Santa Cruz - Llanganuco ; cinq jours autour de montagnes aussi prestigieuses que l'Alpamayo, l'Artesonraju, le Huandoy ou le Huascaran. Quant à nous avec Moïse et Felipe, c'est vers le haut que nous poursuivrons nos aventures...

1er et 2 août

La montée au camp I du Tocllaraju, niché en bordure du glacier contre un ressaut rocheux, est rude et les jambes et les sacs sont bien lourds. Nous ne sommes pas encore super bien acclimatés si bien que nous décidons de faire la voie normale du Tocllaraju avant de nous lancer dans sa face ouest. Après une nuit un peu difficile (la première au-dessus de 5000 mètres...), nous traînassons deux bonnes heures pour nous extirper de nos duvets et chausser les crampons. Bien nous en prend car, après deux nouvelles heures à remonter le glacier dans un froid polaire, le vent nous saisit sur l'épaule nord-ouest, et sans le petit coup de pouce du soleil déjà sorti à ce moment là, nous aurions certainement fait demi tour loin sous le sommet.

Chaque pas nous dévoile un peu plus des sommets avoisinants. Seuls sur la montagne, l'alchimie de la Cordillère Blanche commence à faire son effet  : la lumière, l'air vif, le vent, le crissement des crampons, nos souffles courts, et cette sensation de plénitude, bien loin des vicissitudes de la vie parisienne... Un petit plongeon dans une crevasse un peu traître (merci la corde et ceux qui sont attachés à l'autre bout !) me ramène vite à la réalité. Un petit effort encore et nous atteignons la rimaye, au pied du ressaut sommital. Moïse préfère nous attendre ici, emmitouflé dans sa doudoune -35° ; décidemment, son estomac a du mal  ! 80 mètres un peu plus raides et bien aériens nous séparent du sommet et vers 11 heures, nous nous dressons enfin avec Felipe à 6034 mètres au-dessus du Pacifique, heureux comme des rois. Personne ne viendra nous déranger ce matin sur notre promontoire neigeux. Après les photos de rigueur, quelques rappels sur pieux à neige, un petit saut de rimaye sous laquelle nous retrouvons Moïse, une descente interminable, et nous voilà de retour à la tente avant 14 heures. Il était temps, je suis vanné !!

4 et 5 août

Branle-bas de combat à une heure ce matin. Malgré la journée de repos d'hier, passée à lézarder au soleil sur les rochers autour de la tente, je sens tout de suite que ce n'est pas la grande forme. Bah, il paraît que l'appétit vient en mangeant, et la pêche, en grimpant ? A quatre heures trente, nous quittons nos traces de l'avant-veille et laissons la voie normale sur notre gauche. Une heure plus tard, nous attaquons la rimaye à son talon d'Achille, sous les 600 mètres de la face ouest, écrasée par la nuit et la perspective. Un premier relais sur pieux et nous voilà partis pour 14 longueurs de neige et de glace, à remonter ce toboggan de 50/55° : ambiance, ambiance... Y'a pas à dire, c'est autre chose que le couloir nord des Bans, ou je me trouvais il y a un mois, jour pour jour ! Mais notre progression est bien lente, et les pentes de neige profonde de l'épaule sud, où il est difficile de s'assurer, n'arrangent pas les choses. A 18 heures, il faut se rendre à l'évidence : nous avons perdu notre course contre le soleil. Déjà le voilà qui disparaît derrière les crêtes de la Cordillère Noire, alors que nous sommes encore 50 mètres sous le sommet et pour ma part, exténué. Conseil de guerre. Felipe veut continuer, les deux franchutes n'en peuvent plus : ce sera le bivouac... Et nous voilà bientôt tous les trois à essayer d'aménager une plateforme dans la rimaye, à grand coups de piolet, qui finalement s'avèrera tout juste bon à nous accroupir. Un peu après 20 heures, blottis les uns contre les autres, assis sur les cordes, les sacs, les baudriers, tout ce qui peut nous isoler des parois glacées de la rimaye, le froid trouve quand même son chemin entre les plis de la couverture de survie. Mon altimètre indique 6000 mètres tout juste.

Brrrr... que cette nuit fut longue. Morceaux choisis : 23H15 : « - Eh, Mo', çà va ? - Mmm », [...], 00H45 : « - Felipe, frappe moi dans le dos, por favor  », [...], 02H20 : « - Il est quelle heure ? - 02H20 - Pu..., elle est congelée cette montre ou quoi ? », [...], 04H10 : « - Chevaliers de la table ronde, goûtons voir si le vin est bon ! ... », [...], 05H25 : « - C'est quoi ce bruit, c'est pas la rimaye au moins ? - t'inquiète, c'est mes dents. ..», [...], 06H00 : « - Cà suffit, y'en a marre, çà pèle de trop, on se lève !!! ». Et voilà trois pingouins frigorifiés qui sortent de leur trou en sautillant, essayant de se réchauffer à grands moulinets de bras et de jambes, et jurant comme des charretiers en essayant de faire des anneaux de buste avec les cordes gelées. Vive les vacances...

Felipe, un peu plus lucide que nous (c'est beau la jeunesse...), prend la tête de la cordée et nous traîne jusqu'au sommet, 45 minutes plus haut. Premier 6000 pour Moïse qui ne cache pas sa joie. Il l'a bien mérité. Ce matin nous ne sommes pas seuls sur le Tocllaraju, et on ne va pas s'en plaindre ; le thé chaud et les barres énergétiques que nous offrent les cordées qui débouchent de la voie normale sont plus que bienvenus ! Nos voisins du camp d'altitude sont eux aussi rassurés de nous revoir en bonne forme ce matin, après avoir suivi aux jumelles pendant toute la journée d'hier notre lente remontée de la face ouest.

La descente de ce matin a une autre saveur que celle d'avant-hier : toutes les émotions de cette longue « journée » (plus de 30 heures depuis notre départ du camp, quand même !) sont là, à fleur de peau. Il faudra plusieurs jours pour qu'elles décantent, avant de se mêler aux autres images et sensations qui formeront les souvenirs de ce beau voyage.

13 août

Minuit et demi. Nos crampons crissent de nouveau sur la neige froide. Nous laissons derrière nous le camp d'altitude de l'Artesonraju ainsi que Felipe, emmitouflé dans les duvets, et qu'une mauvaise crève a empêché de nous accompagner ce matin. Au-dessus de nous, les 900 mètres de la face sud-est de l'Artesonraju nous attendent, et cette fois ci, la forme est au rendez-vous.

Les désagréments de notre bivouac sous le sommet du Tocllaraju sont loin derrière nous ; vite oubliés dès notre retour à Huaraz à force pichets de jus de fruits frais, de séances de sauna, de ballades en VTT, de siestes au soleil et de rythmes de salsa.

Huaraz, salsa, soleil, farniente. Changement de décor : 5500 mètres d'altitude, nuit noire, deux petits points progressent corde tendue sur l'Artesonraju, à l'aplomb du sommet. Nos respirations hachées se confondent. Nos mouvements s'enchaînent, le corps répond comme une mécanique bien huilée. La tête ? Elle divague. Tantôt à compter les pas : 98, 99, 100, ... et un, deux, trois ... Tantôt à calculer notre moyenne... De temps en temps, je reprends conscience que je suis en train de réaliser un rêve vieux de cinq ans déjà : je suis enfin sur l'Arteson', cette splendide pyramide qui m'avait tant impressionné lors de mon premier voyage au Pérou !

5900 mètres, six heures trente. Le jour est là, mais sans le soleil, désespérément caché derrière les nuages. Nous sommes au pied du crux de la voie : 100 mètres de canaletas de neige pourrie et raide qui défendent l'accès à l'arête sommitale. Vu la tête de Moïse, je monte un relais béton. Enfin, béton... difficile de s'ancrer dans ce mélange de neige soufflée et de glace creuse. S'en suit une heure de grimpe peu orthodoxe : vous avez déjà ramoné les cheminées d'un château de cartes ? j'imagine que çà doit ressembler à çà, le froid en moins ! Pas trop fier quand même, je remercie presque les nuages de me cacher les 900 mètres de paroi qui s'enfuient entre mes jambes...

A huit heures pétantes, je suis enfin sur l'arête sommitale, les cheveux dans le vent, solidement vaché à deux broches à glace. Moïse me rejoint quelques minutes plus tard. Son sourire n'a d'égal que le mien. Le sommet est là, tout proche et les derniers mètres sont savourés tranquillement, comme un bon vieux pineau des Charentes... Pas de vue ? qu'à cela ne tienne ! J'imagine tous les sommets alentours comme si je les voyais, tant j'attendais ce moment... « Tiens Mo', regarde là-bas, c'est l'Alpamayo (purée de pois). Et de ce côté, le Chacraraju (re-purée de pois) ! ». Si les choucas nous avaient vus, qu'auraient-ils pensé de nos ébats ? Une trop brève éclaircie me fait ressortir l'appareil comme un hystérique. Pour rien... Mais il en faudrait plus pour gâcher le plaisir d'être là, à flotter dans cette lumière blafarde, sur notre petit nuage...

Nous entamons les premiers rappels de la descente, à l'extrême gauche de la face, pour nous rendre compte que le crux de la voie normale était beaucoup plus rando mais aussi bien plus encombré que notre variante « château de carte ». D'autres grimpeurs ? Tiens, on les avait oubliés ceux-là. « Bonjour Madame, pardon Monsieur, vous marchez sur mon rappel, là ! ». Loin de nos sommets alpins surpeuplés, l'Artesonraju attire quand même nombre de grimpeurs chaque année.

Sept heures, quinze rappels et 900 mètres de denivelé négatif plus tard, nous tombons dans les bras de Felipe au campement, peu avant un coucher de soleil somptueux derrière notre montagne... Que la soupe fut bonne ce soir-là !!!

La descente du lendemain signe la fin de nos vacances en altitude. J'aime ces retours vers la vallée, ponctués de petites pauses pour se retourner vers la montagne où l'on bataillait la veille. C'est à ce moment que l'on réalise vraiment la dimension du voyage. Même si cette fois là, nous ne sommes pas beaux à voir avec Moïse : lui, rouge comme une écrevisse, et moi à moitié aveugle, pire qu'un lapin souffrant de myxomatose : çà nous apprendra à oublier que derrière les nuages, le soleil est traite à ces altitudes !