Texte écrit pour la revue
annuelle du CAF angoumoisin, à mon retour de
ce superbe trek.
Amis
Cagouillards, bonjour !
''Encore le
Pérou !'' diront peut-être certains.
''Qu'est-ce-qu'il nous barbe avec ses
histoires du bout du monde !''
renchériront sûrement quelques autres...
''Pourquoi est ce qu'il ne va pas faire de la
rando dans la forêt de la Braconne comme tout
le monde, cet huluberlu ?'' marmonneront
les derniers. Ma foi, il y a peut-être un fond
de vérité là-dedans après tout...
Fidèles lecteurs
de notre chère revue et amateurs de
statistiques, vous n'aurez pas manqué de noter
que ce quatrième épisode sud-américain nous
propulse une nouvelle fois au Pays du Temple
du Soleil. Les derniers irascibles ne
manqueront certainement pas de faire remarquer
que çà ne sert à rien d'aller s'installer si
loin qu'à Santiago du Chili, au pied de la
Cordillère, s'il faut encore se taper plus de
4000 kilomètres vers le nord pour faire de la
montagne. ..
Pourtant, ce
n'est pas faute d'avoir usé la vibram
de mes Koflach ou la cocida
de mes chaussons sur les montagnes chiliennes
depuis bientôt quatre ans ! Il existe, à
quelques petites heures de Santiago, des
vallées et des faces qui valent bien que l'on
s'y attarde un peu, et qui offrent un vaste
panel de plaisirs pour les amoureux du grand
air. En effet, vous en connaissez beaucoup des
capitales, où l'on peut se lever le matin en
ayant le choix entre une journée de grimpe
torse nu sur une face nord ensoleillée,
quelques heures de godille dans la poudreuse,
ou même une petite école d'escalade sur
séracs ? Mais bon, ne croyez pas non plus
que tous les week-ends, je courrais d'un
sommet à un autre, de l'aube à la nuit tombée,
tel un bon petit aspi. Non, non, je dois
avouer que certains matins, le dilemme entre
les chaussons, les skis ou les piolets était
tellement grand, que pour ne pas faire de
jaloux, je préférais me laisser tenter par un
bon petit barbecue entre amis (Kreutzfel et
son pote Jacob n'ont pas encore sévi sous ces
latitudes...).
Je pourrais donc
profiter de ces pages pour vous parler de
quelques unes de ces sorties autour de
Santiago. Mes deux essais sur l'arête sud-est
du Meson Alto en décembre et
janvier dernier par exemple, c'était pas mal,
çà par exemple ! Imaginez 1200 mètres de
neige, mixte et glace culminant à presque 5200
mètres au-dessus du port de Valparaiso ;
un grand Eperon de la Brenva en somme. Pour
tout topo, une photo lointaine et une vague
description de mon pote Lucho qui fut en son
temps (il y a une petite vingtaine d'années
quand même) un des premiers à s'y frotter.
''Regarde. C'est super simple. Tu attaques
dans ce couloir puis tu remontes au mieux dans
cette partie en mixte, tu vois, là ?
(moue dubitative de l'intéressé... un peu
légers comme indices pour les quatre ou cinq
cents premiers mètres de la voie) Le crux,
c'est cette grande pente de neige, quatre ou
cinq longueurs, je ne me souviens plus trop.
En fonction des années, çà peut être
raide ; 65 ou 70°, voire même plus...
ensuite, c'est le bivouac quelque part par là
(imaginez Lucho qui écrase son gros doigt sur
la moitié supérieure de la photo, et la moue
de plus en plus dubitative de votre
serviteur...). Après tu suis le fil jusqu'à
l'arête sommitale. Mais attention, c'est la
descente par la voie normale de l'autre côté
qui est paumatoire, il vaudrait mieux que tu
fasses cette voie normale une fois d'abord
pour te repérer, à moins que tu ne descendes
en rappels par l'arête, il paraît que certains
l'ont déjà fait... Peut-être même que çà passe
dans la journée d'ailleurs, en partant
léger.'' OK Lucho, merci pour tous tes
précieux conseils, on va peut-être le faire à
l'ancienne plutôt : un repérage sur un
sommet en vis-à-vis le week-end précédent,
histoire de zoomer sur cette face et de la
jauger un peu mieux. Et puis, on se lance, à
l'aventure.
J'aurai
pu, donc, vous parler de mes tentatives sur
ces pentes, des rappels coincés lors des
descentes, de ces petits bonhommes un petit
peu dépassés par l'échelle de la montagne,
c'était chouette pourtant. Mais non, il faut
que je revienne encore sur le Pérou, c'est
plus fort que moi... Souvenez vous en, j'ai
attrapé le virus péruvien lors d'un voyage
éclair, il y a trois ans sur l' Alpamayo .
L'an dernier, le San
Juan
et le Huascaran
s'étaient chargé de me faire les piqûres de
rappel, comme si j'en avais eu besoin. C'est
donc tout naturellement que cet été, j'ai
pensé à cette région pour passer mes
dernières semaines en Amérique du Sud, avant
de remettre le cap sur la France et ses
cagouilles. Le problème, c'est que j'avais
tellement vanté les beautés des montagnes
péruviennes ces derniers temps que mon virus
avait infecté quelques colégionnaires. Cela
faisait donc plusieurs mois que Papa et
Maman Chapuises m'avaient laissé entendre
qu'une petite virée du côté de la grande
cordillère ne leur déplairait pas trop non
plus tant que j'étais encore sur place... Eh
bé voilà ! Il ne me restait plus qu'à
ranger soigneusement les piolets et les Koflach
au fond de la malle, dépoussiérer
mes croquenots Décathlon et
faire une croix sur les ice flutes,
les corniches et les 6000...
Un peu de
rando donc, soit. Autant faire quelque chose
de bien alors. Et question rando, le Pérou
n'est pas en reste. Que ce soit au sud, dans
la Cordillère de Viconga
,
pas loin de Cuzco, ou au nord dans ma chère
Cordillère Blanche, il y a de quoi régaler
les yeux et les mollets. Mais le must
revient incontestablement à la ''petite''
Cordillère de Huayhuash, située 100
kilomètres au sud de sa grande soeur. Jugez
plutôt ; un massif sauvage, reculé
juste ce qu'il faut de la civilisation,
offrant une variété de paysages allant du
champs de blé doré planté au milieu d'une
vallée encaissée et verdoyante, jusqu'aux
pics de glace et de roc culminant à plus de
6000 mètres d'altitude et se reflétant dans
des lacs couleur émeraude... Et pour
découvrir tout çà, que faut-il ? Braver
des tempêtes de neige sur des cols à plus de
5000 ? Porter des sacs de cinquante
kilos dix heures par jour ? Manger des
bolinos et du pain rassis pendant trois
semaines ? Que nenni ! Avec un peu
de préparation, il suffit pour jouir des
charmes de la belle, de se programmer un
petit circuit de onze jours, avec juste ce
qu'il faut sur le dos pour ne pas avoir ni
faim ni soif jusqu'au camp du soir où l'on
retrouvera avec plaisir les ânes et leurs
guides nous précédant sur le chemin. J'en
entends déjà s'exclamer :''Ah les
fainéants ! Marcher avec des
bourriques, c'est renier l'essence même de
la rando ! çà ne valait pas le coup
d'en faire un article.'' Eh bien, qu'ils
essayent au moins une fois ces puristes, et
on en reparlera ! Même si je me flatte
d'être encore relativement jeune, et en
pleine forme (allez, soyons modestes...),
j'avoue que marcher les épaules débarrassées
de 25 kilos aide quand même à voir les lacs
plus verts, les faces sud moins austères,
les autochtones plus souriants, et même les
lamas moins grincheux. Alors, imaginez ce
que cela peut représenter pour mes chers
compagnons de voyage, certes non moins
jeunes et moins vaillants, mais peut-être un
peu moins modestes que moi...
Arrêtons-là
cette intro quelque peu longuette, et passons
aux choses sérieuses : il y en a bien
quelques uns parmi vous qui seront intéressés
par le récit de ces quelques jours. J'en
connais au moins quatre. Car, première
surprise du voyage, ce ne sont pas deux mais
bien quatre fringants quincagénaires que je
récupère à l'aéroport de Lima, sur le coup de
cinq heures du mat', heure locale. Vl'à ti pas
qu'en plus de Papa et Maman Chapuises, mes
articles enthousiastes ont eu le bonheur de
contaminer aussi Annie et Christian
Gardilloux ! Pas de problème : plus
on est de cagouilles et plus on rit, c'est
bien connu. Histoire de se mettre tout de
suite dans le bain, il manque un des sacs de
Christian sur le tapis : merci Delta
Airlines ! Quelques tractations seront
nécessaires avant que l'on puisse s'assurer de
le retrouver le surlendemain matin dans le
petit terminal de bus de Chiquian, point de
départ de notre périple pédestre.
Les deux
premiers jours seront bien remplis. On
commence par le transfert de Lima à Huaraz,
que je ne présente plus à mes fidèles
lecteurs (en relisant mes précédentes
bafouilles, je retrouve dans le désordre
''le Chamonix'' ou ''le Kathmandou'' des
Andes) : quatre cents kilomètres et
près de huit heures de route quand même.
C'est la première fois que je fais ce
parcours de jour et çà en vaut le coup. Nous
traversons progressivement tous les étages
de la végétation péruvienne ; du désert
côtier aux contreforts de la cordillère en
passant par quelques oasis de palmiers. Le
dernier col, avec ses 4100 mètres d'altitude
nous met d'emblée dans l'ambiance : à
perte de vue, on reconnaît les géants des
Cordillères Blanche et de Huayhuash (notre
destination) : le Huascaran
-
où je me dressais fier comme un coq, il y a
un an presque jour pour jour - ferme
l'horizon au nord avec ses 6768 mètres, le Yerupaja
son homologue huayhuashien, le défit
fièrement plus au sud du haut de ses 6634
mètres. Au premier plan, quelques troupeaux
de lamas complètent ce tableau
grandiose : y'a pas à dire ; le
syndicat d'initiative de Huaraz fait bien
les choses ! Un petit coup d'oeil sur
mes voisins, et je m'aperçois que tous ne
profitent pas autant que moi de ce superbe
point de vue : entre ceux qui dorment,
ceux que les virages ballottent et ceux que
l'altitude assomme... Il ne faut quand même
pas leur en vouloir : il y a tout juste
vingt quatre heures, ils ramassaient encore
des cagouilles au fond de leur
jardin charentais ; comme
acclimatation, il y a mieux !
A peine
les sacs posés dans la pension de mon amie
Zarela à Huaraz qu'il nous faut déjà penser
aux courses, et nous voilà à sillonner le
marché couvert à la recherche de nos 137
soupes, 6 kilos de riz, autant de pâtes, 76
paquets de gâteaux, 20 litres d'essence pour
les réchaux, 4 kilos de confitures et j'en
passe et des meilleures... C'est dans ces
moments là que l'on pense avec une affection
certaine aux ânes qui vont nous
accompagner... Le soir même, à la pension,
nous retrouvons Maximo, un paysan vivant
près de Chiquian, qui va nous accompagner et
nous guider durant ces quelques jours. Les
prix sont vite négociés. On parle du
circuit, des étapes, des derniers achats à
effectuer demain pour compléter nos courses
de la soirée. Finalement, ce seront huit
ânes, un cheval, une tente d'intendance,
Maximo et un de ses frères qui seront du
voyage avec nous. L'entente avec notre guide
est tout de suite excellente (merci
Zarela...) : çà promet pour la
suite... Le lendemain, les européens sont
sur pieds dès l'aube, décalage horaire
oblige. Après un bon et copieux petit
déjeuner ''continental'', un petit tour au
marché en compagnie de Maximo qui n'a pas
d'égal pour négocier les prix des oranges et
des pommes, la provision de cartes postales
en prévision des longues soirées aux
bivouacs, et un dernier passage aux
distributeurs automatiques (les derniers
avant bien longtemps...), et il ne nous
reste plus qu'à boucler sacs, caisses et
bidons avant de rejoindre le terminal de
bus.
Un peu
plus de cent kilomètres seulement nous
séparent de Chiquian, point de départ du
trek, mais ce sera toute une aventure pour
les parcourir ! Aujourd'hui,
''l'Expresso'' a soif, très soif !
Toutes les dix minutes, il n'est pas trop
d'un litre d'eau pour refroidir ce qui reste
du radiateur de notre bolide. Et comme il
s'agit bien souvent d'aller chercher l'eau
cent mètres en contrebas au fond d'un ravin,
çà n'arrange pas la moyenne... Nous
arriverons quand même juste à temps pour
admirer un splendide coucher de soleil sur
la face sud-ouest du Yerupaja
;
une bien belle façon pour le maître des
lieux de nous souhaiter la bienvenue sur ses
terres...
La nuit a été
bonne pour tout le monde. Il faut dire que
c'était la dernière sur un vrai lit avant une
grosse dizaine de jours. A sept heures
sonnantes, Maximo apparaît au coin de la rue
alors que nous n'avons pas encore fini notre
petit déjeuner. Il est bientôt suivi par son
frère Zacharias qui conduit le troupeau de
quadrupèdes bâtés. Notre réserve de nourriture
constituée à Huaraz est complétée par une
quinzaine de kilos de pain, commandé la veille
par Maximo au boulanger du coin de la rue.
Tout ce chargement est finalement bien
imposant, mais ne semble impressionner ni
Zacharias, ni ses ânes. Enfin, à huit heures
et demie, cinq fiers randonneurs s'élancent à
l'assaut des sentiers de Huayhuash. Christian
(alias Boubou pour les intimes), le sourire
aux lèvres et les Trezeta aux
pieds depuis que l'on a récupéré son sac au
terminal de bus avant de quitter la ville,
mène la troupe derrière notre guide du jour,
Irma, la femme de Maximo. Chiquian,
Llamac : c'est un chemin qu'elle connaît
bien pour avoir une maison dans chacun des
deux villages. Combien de fois a-t-elle fait
l'aller et retour ? ''Muchas veces''
nous dira-t-elle avec un grand sourire... Six
à sept heures de marche dans le cagnard et la
poussière quand même : une paille. Ici,
les 35 tonnes sont remplacés par les caravanes
d'ânes, et les galeries par des baluchons aux
couleurs vives. Pas besoin de limitations de
vitesse ni d'interdictions de doubler, le
temps s'écoule différemment de chez nous...
Cette première étape, après nous avoir fait
descendre jusqu'au lit du torrent, vers 2700
mètres d'altitude, nous permet de poursuivre
notre acclimatation entre petits champs et
enclos cerclés de murets de pierres sèches.
Cela ne sera pas sans mal pour certains
d'ailleurs, dont je tairai le nom par peur de
représailles... Choclito, notre monture de
secours, ne pensait certainement pas devoir
transpirer dès le premier jour !
Llamac, notre
première étape, sera le véritable point de
départ de la boucle. C'est sur le même terrain
de foot, à deux pas du centre du village, que
nous replanterons la tente dans neuf jours,
après huit cols entre 4200 et 5000 mètres et
autant de couchers et de levers de soleil
somptueux sur les montagnes alentours. Ce
soir, pour la première fois, nous nous
retrouvons tous sous la tente mess que Maximo
nous a dégottée. Un peu défraîchie (quel
euphémisme !), mais spacieuse, elle nous
permettra quand même de faire remonter la
température ambiante de quelques degrés lors
de la préparation et de la dégustation de nos
repas. Allumer les réchauds, faire bouillir
l'eau pour la soupe, les pâtes, le riz, les ''papas'',
le quacker ou le thé, préparer les rations
pour le pique-nique du jour, monter et
démonter les tentes, faire et défaire les
sacs, marcher et s'émerveiller, s'arrêter au
bord du chemin pour casser une graîne ou tout
simplement profiter du paysage, marcher et
s'émerveiller toujours plus... : quelques unes
des menues tâches qui rythmeront notre
quotidien pour les jours à venir. Vivre au
rythme de la nature ; se lever avec le
soleil, dans le froid piquant de la haute
altitude alors que les faces est s'illuminent
une à une, le voir disparaître le soir venu et
abandonner les montagnes environnantes, nos
hôtesses d'une nuit, voilà ce que j'aime dans
la rando...
Peu à peu,
nous nous approchons de la haute montagne.
Ces deux premiers jours où la montée est
graduelle, viennent à point pour
conditionner nos corps et nos esprits aux
beautés qui vont suivrent. Plus que d'une
acclimatation, c'est d'un véritable
apprivoisement qu'il s'agit. Déjà, nous
laissons le dernier petit village au milieu
de ses champs de blé mûrs pour poser la
tente sur les alpages de Matacancha, à 4100 mètres
d'altitude, juste avant que l'orage
n'éclate. La suite de la soirée sera humide
sous notre chère tente mess : à vrai
dire, vu son âge avancé, on ne pouvait
décemment pas lui en demander plus !
Au petit
matin, les désagréments de la veille se
trouvent largement compensés par un
splendide lever de soleil sur les hauteurs
fraîchement enneigées du Ninashanca. Que c'est
beau ! Et tiens, encore une diapo à
retirer au retour ! La remontée de
notre premier col se fait à la fraîche, dans
un paysage exalté par le givre qui couvre
chaque brin d'herbe. Au bout de presque deux
heures de marche, vers 4500 mètres, quelle
n'est pas notre surprise de croiser sur
notre chemin une bergère en jupe et petites
basquettes : on se sentirait presque
ridicules nous, avec nos gros croquenots,
nos batons et nos ''concepts trois
couches''... Ce n'est autre que la femme de
Zacharias, venue voir ses bêtes à l'alpage,
comme tous les jours. Bientôt, les ânes et
leurs guides nous rejoignent. Ils
basculeront avant nous vers le versant est
de la montagne. Ce col est important à plus
d'un titre. Pour mes compagnons, il est le
plus haut point jamais atteint jusqu'à ce
jour. Pour la neige tombée dans la nuit, il
marque la ligne de séparation des eaux : à
l'ouest, les eaux de fonte rejoindront dans
quelques jours les côtes du Pacifique. A
l'est, elles flâneront pendant des semaines
dans les méandres de l'Amazone avant
d'alimenter l'Atlantique. Quant à nous, le
choix est vite fait, la température ne
favorise pas l'indécision : cap à
l'est ! Nous plongeons rapidement de
l'autre côté du col. Cette descente, sur un
chemin boueux et glissant à souhait, me
rappelle une autre après-midi avec mes
parents dans le parc des Tours du Paine, au
sud du Chili, il y a de celà presque trois
ans. Le site du bivouac de ce soir est
idyllique. Jugez plutôt : au premier
plan, un petit replat tapissé de mousse au
bord du lac Mitucocha. Au fond,
barrant le ciel, les faces nord des Jirishanca,
jamais lassées de se mirer dans les eaux
limpides du lac... Au milieu de tout çà,
quelques vaches paissant tranquillement,
quelques truites scintillant au soleil et
quelques touristes (= 5 Charentais, ne
croyez quand même pas qu'un tel paradis est
ouvert aux hordes de japonais en culottes
courtes) ébahis par tant de beautés. Tiens,
en parlant de truites, il y en aura même
quelques unes d'assez sympas pour agrémenter
notre repas de ce soir : garanties sans
farine animale ! C'est finalement assez
démotivant pour la suite du périple de
trouver un tel coin où poser la tente dès le
deuxième jour : on n'a vraiment aucune
raison d'aller chercher plus loin ce que la
montagne nous offre ici...

Enfin...
il paraît que chaque étape recèle son lot de
merveilles : la montée vers le col de Carhuac
au milieu de champs enneigés par exemple, la
traversée à gué sous le lac Carhuacocha, ou encore ce
défilé sous le col Carnicero, où chaque
détour du chemin nous offre des perspectives
fabuleuses sur les faces est du massif. Dans
le vallon de Huayhuash, près du
hameau qui donne le nom au massif, nous
établissons notre cinquième bivouac.
L'occasion de rencontrer quelques unes des
familles qui subsistent chichement en
cultivant ces maigres terres, et de goûter à
leur fromage, qui ne dépareillerait pas trop
à côté de notre Etorqui
et autres brebis des Pyrénées. Le col de Portechuelo,
avec ses 4750 mètres, sera le dernier que
nous franchirons le soleil dans le
dos ; déjà, nous bifurquons vers
l'ouest et commençons à refermer notre
boucle. C'est là que juste après notre pique
nique quotidien, nous tombons, à notre
grande surprise, nez à nez avec un troupeau
de lamas alpagas dans leurs pâturages
estivaux. Emois dans la troupe des
Charentais : ce n'est pas tous les
jours en effet que l'on est amené à croiser
ces charmantes petites bêtes laineuses sur
les GR des Pyrénées ! ''Regarde
celui-là comme il est trognon !'', ''Et
les deux, derrière, qui se font des
mamours !...''. Quelques rouleaux de
peloches plus tard et l'excitation de la
rencontre un peu retombée, il nous faut
reprendre le chemin. Nous voilà déjà en vue
du campement et de nos deux frères gardiens.
La grande tente verte est déjà montée, et
les bâts des ânes disposés sur les côtés,
comme d'habitude. Ce soir, nous avons droit
au plus formidable balcon qu'il soit
possible de rêver : une cassure
horizontale grande comme un terrain de foot,
au milieu des pentes qui mènent vers le col
de Cuyoc, point
culminant de notre voyage. Un petit filet
d'eau, 180 degrés de glaces, de neige, et de
rocs face à nous, et surtout tout
l'après-midi pour en profiter ! La
rando dans ces conditions, moi
j'aime !!!

Ce matin,
au réveil, les visages sont bouffis et en
disent long sur la qualité de la nuit. Ce ne
sont pourtant pas les moustiques qui nous
ont embêté. Il faut dire qu'à 4750 mètres
d'altitude, je voudrais bien les voir, moi,
vos moustiques ! A petits pas, sans se
presser (il ne manquerait plus que çà,
tiens !), nous nous approchons de la
ligne fatidique des 5000 mètres. A chaque
foulée, le paysage s'ouvre un peu plus dans
notre dos et se ramasse devant nous. Un peu
avant neuf heures, une violente bourrasque
manque d'emporter mon chapeau tout
neuf : ce sont les flancs ouest de la
cordillère qui me souhaitent de nouveau la
bienvenue. Une fois la troupe au beau
complet et la photo souvenir obligatoire
prise, nous entamons une nouvelle descente.
A chaque pas, le paysage change, offrant de
nouvelles perspectives au randonneur :
ici, c'est l'énorme face sud du Carnicero
qui joue avec les crêtes du premier
plan ; là, c'est cette pousse de cactus
fleurie qui est une invitation à la pause,
et plus loin, c'est la vallée de Huanacpatay toute
entière qui nous offre ses charmes, sans
retenue aucune...
Ce soir,
c'est presque le retour à la civilisation.
Après le point le plus haut, nous plantons
la tente au point le plus bas de la boucle,
près du chef lieu de Huayllapa
,
à 3400 mètres d'altitude. Fête nationale
oblige, c'est la fiesta ce soir au
village, et les fanfares se font entendre
jusque dans notre campement. Un petit tour
dans le centre en quête de quelques denrées
destinées à améliorer notre menu quotidien
nous permet de partager l'espace de quelques
instants la joie des paysans de la
région : j'échappe de peu au baptême à
la chicha locale - un
alcool à base de maïs fermenté. Vu la
grimace que fait Maximo en descendant son
verre, je préfère décliner l'invitation avec
un grand sourire.
Après la
fête, les lendemains déchantent... 1400
mètres de dénivelé positif au programme pour
rejoindre le col de Tapush, perché à
l'altitude de notre cher Mont Blanc. J'en
connais qui ont du râler contre l'ingénieur
des Ponts et Chaussées péruvien responsable
du tracé du circuit (non non, je vous
rassure, ce n'est pas moi.) : ''tout
allait si bien jusqu'à présent, çà
descendait pas beaucoup, çà montait encore
moins : la rando plaisir, quoi !
mais alors, aujourd'hui...''. Quelques
Coramine Glucose ne seront pas de trop pour
aider à remonter la dernière pente. Et
là-haut, que trouve-t-on ? Je vous le
donne en mille : deux charmantes
petites bergères, l'une tricotant, l'autre
en train d'étudier tranquillement sa leçon
de Sciences Nat', le livre sur les
genoux ; une vraie image
d'Epinal ! Ah, elles nous mettent
minables, nous les touristes ! Vous
imaginez, vous, tomber sur deux petites
Savoyardes en train de réviser leur tables
de huit sur l'arête des Bosses ? Allez,
rien de tel qu'un bon sandwich au pâté pour
se remettre de telles émotions...
Les deux
jours suivants sont certainement les plus
grandioses du circuit : tous les 6000
de la chaîne sont là, sous nos yeux, et
s'évertuent à nous étonner et nous
émerveiller à chaque pas ; le point
d'orgue étant sans doute l'arrivée sur le
lac de Jahuacocha, l'emblème de
la région.
Ce dernier campement avant de rejoindre
Llamac a pour nous une saveur particulière.

Le retour
sur Llamac sera presque sans histoire, à
part une petite erreur d'itinéraire de votre
cher serviteur, qui nous vaudra bien trois
heures de hors piste délicat : ''Bah,
comme çà, çà nous aura permis de voir des
colibris'' ont dit les enthousiastes,
''ouai, tu parles.'' ont rétorqué les autres
(fatigués...). Au village, nous retrouvons
Irma et ses filles ; toute la petite
famille de Maximo et de Zacharias nous
attendait avec impatience. Il faut dire que
notre excursion avicole ne nous a pas
raccourcit. Et c'est avec la famille que
nous partagerons notre dernier repas, à la
lueur de nos bougies. Maximo m'emmène
ensuite chez lui pour me montrer sa
collection de photos souvenirs :
celle-là date des années 70 et d'une
expédition de René Desmaison dans le coin,
celle-ci de l'époque où Vallençant descendit
en godillant la face sud-ouest du Yerupaja
en moins de trente minutes... Tiens ! une
carte postale de la Tour Eiffel, et ici une
autre d'Oslo ! C'est promis, on lui
enverra quelques unes de nos photos pour
compléter son album.
Dans le bus qui
nous ramène à Lima, le retour à la
civilisation est quelque peu brutal :
entassés comme des sardines, bringuebalés sur
les pistes défoncées, dans un festival de
bruits et d'odeurs suspects, nous avons du mal
à digérer ces quelques jours passés hors du
temps. La première partie de notre périple
transandin est terminée : place
maintenant aux charmes des citées et des
temples incas, de l'altiplano et du lac
Titicaca, mais çà, c'est une autre
histoire !