Texte écrit pour la revue annuelle du CAF angoumoisin, à mon retour de ce superbe trek.

Amis Cagouillards, bonjour !

''Encore le Pérou !'' diront peut-être certains. ''Qu'est-ce-qu'il nous barbe avec ses histoires du bout du monde !'' renchériront sûrement quelques autres... ''Pourquoi est ce qu'il ne va pas faire de la rando dans la forêt de la Braconne comme tout le monde, cet huluberlu ?'' marmonneront les derniers. Ma foi, il y a peut-être un fond de vérité là-dedans après tout...

Fidèles lecteurs de notre chère revue et amateurs de statistiques, vous n'aurez pas manqué de noter que ce quatrième épisode sud-américain nous propulse une nouvelle fois au Pays du Temple du Soleil. Les derniers irascibles ne manqueront certainement pas de faire remarquer que çà ne sert à rien d'aller s'installer si loin qu'à Santiago du Chili, au pied de la Cordillère, s'il faut encore se taper plus de 4000 kilomètres vers le nord pour faire de la montagne. ..

Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir usé la vibram de mes Koflach ou la cocida de mes chaussons sur les montagnes chiliennes depuis bientôt quatre ans ! Il existe, à quelques petites heures de Santiago, des vallées et des faces qui valent bien que l'on s'y attarde un peu, et qui offrent un vaste panel de plaisirs pour les amoureux du grand air. En effet, vous en connaissez beaucoup des capitales, où l'on peut se lever le matin en ayant le choix entre une journée de grimpe torse nu sur une face nord ensoleillée, quelques heures de godille dans la poudreuse, ou même une petite école d'escalade sur séracs ? Mais bon, ne croyez pas non plus que tous les week-ends, je courrais d'un sommet à un autre, de l'aube à la nuit tombée, tel un bon petit aspi. Non, non, je dois avouer que certains matins, le dilemme entre les chaussons, les skis ou les piolets était tellement grand, que pour ne pas faire de jaloux, je préférais me laisser tenter par un bon petit barbecue entre amis (Kreutzfel et son pote Jacob n'ont pas encore sévi sous ces latitudes...).

Je pourrais donc profiter de ces pages pour vous parler de quelques unes de ces sorties autour de Santiago. Mes deux essais sur l'arête sud-est du Meson Alto en décembre et janvier dernier par exemple, c'était pas mal, çà par exemple ! Imaginez 1200 mètres de neige, mixte et glace culminant à presque 5200 mètres au-dessus du port de Valparaiso ; un grand Eperon de la Brenva en somme. Pour tout topo, une photo lointaine et une vague description de mon pote Lucho qui fut en son temps (il y a une petite vingtaine d'années quand même) un des premiers à s'y frotter. ''Regarde. C'est super simple. Tu attaques dans ce couloir puis tu remontes au mieux dans cette partie en mixte, tu vois, là ? (moue dubitative de l'intéressé... un peu légers comme indices pour les quatre ou cinq cents premiers mètres de la voie) Le crux, c'est cette grande pente de neige, quatre ou cinq longueurs, je ne me souviens plus trop. En fonction des années, çà peut être raide ; 65 ou 70°, voire même plus... ensuite, c'est le bivouac quelque part par là (imaginez Lucho qui écrase son gros doigt sur la moitié supérieure de la photo, et la moue de plus en plus dubitative de votre serviteur...). Après tu suis le fil jusqu'à l'arête sommitale. Mais attention, c'est la descente par la voie normale de l'autre côté qui est paumatoire, il vaudrait mieux que tu fasses cette voie normale une fois d'abord pour te repérer, à moins que tu ne descendes en rappels par l'arête, il paraît que certains l'ont déjà fait... Peut-être même que çà passe dans la journée d'ailleurs, en partant léger.'' OK Lucho, merci pour tous tes précieux conseils, on va peut-être le faire à l'ancienne plutôt : un repérage sur un sommet en vis-à-vis le week-end précédent, histoire de zoomer sur cette face et de la jauger un peu mieux. Et puis, on se lance, à l'aventure.

J'aurai pu, donc, vous parler de mes tentatives sur ces pentes, des rappels coincés lors des descentes, de ces petits bonhommes un petit peu dépassés par l'échelle de la montagne, c'était chouette pourtant. Mais non, il faut que je revienne encore sur le Pérou, c'est plus fort que moi... Souvenez vous en, j'ai attrapé le virus péruvien lors d'un voyage éclair, il y a trois ans sur l' Alpamayo . L'an dernier, le San Juan et le Huascaran s'étaient chargé de me faire les piqûres de rappel, comme si j'en avais eu besoin. C'est donc tout naturellement que cet été, j'ai pensé à cette région pour passer mes dernières semaines en Amérique du Sud, avant de remettre le cap sur la France et ses cagouilles. Le problème, c'est que j'avais tellement vanté les beautés des montagnes péruviennes ces derniers temps que mon virus avait infecté quelques colégionnaires. Cela faisait donc plusieurs mois que Papa et Maman Chapuises m'avaient laissé entendre qu'une petite virée du côté de la grande cordillère ne leur déplairait pas trop non plus tant que j'étais encore sur place... Eh bé voilà ! Il ne me restait plus qu'à ranger soigneusement les piolets et les Koflach au fond de la malle, dépoussiérer mes croquenots Décathlon et faire une croix sur les ice flutes, les corniches et les 6000...

Un peu de rando donc, soit. Autant faire quelque chose de bien alors. Et question rando, le Pérou n'est pas en reste. Que ce soit au sud, dans la Cordillère de Viconga , pas loin de Cuzco, ou au nord dans ma chère Cordillère Blanche, il y a de quoi régaler les yeux et les mollets. Mais le must revient incontestablement à la ''petite'' Cordillère de Huayhuash, située 100 kilomètres au sud de sa grande soeur. Jugez plutôt ; un massif sauvage, reculé juste ce qu'il faut de la civilisation, offrant une variété de paysages allant du champs de blé doré planté au milieu d'une vallée encaissée et verdoyante, jusqu'aux pics de glace et de roc culminant à plus de 6000 mètres d'altitude et se reflétant dans des lacs couleur émeraude... Et pour découvrir tout çà, que faut-il ? Braver des tempêtes de neige sur des cols à plus de 5000 ? Porter des sacs de cinquante kilos dix heures par jour ? Manger des bolinos et du pain rassis pendant trois semaines ? Que nenni ! Avec un peu de préparation, il suffit pour jouir des charmes de la belle, de se programmer un petit circuit de onze jours, avec juste ce qu'il faut sur le dos pour ne pas avoir ni faim ni soif jusqu'au camp du soir où l'on retrouvera avec plaisir les ânes et leurs guides nous précédant sur le chemin. J'en entends déjà s'exclamer :''Ah les fainéants ! Marcher avec des bourriques, c'est renier l'essence même de la rando ! çà ne valait pas le coup d'en faire un article.'' Eh bien, qu'ils essayent au moins une fois ces puristes, et on en reparlera ! Même si je me flatte d'être encore relativement jeune, et en pleine forme (allez, soyons modestes...), j'avoue que marcher les épaules débarrassées de 25 kilos aide quand même à voir les lacs plus verts, les faces sud moins austères, les autochtones plus souriants, et même les lamas moins grincheux. Alors, imaginez ce que cela peut représenter pour mes chers compagnons de voyage, certes non moins jeunes et moins vaillants, mais peut-être un peu moins modestes que moi...

Arrêtons-là cette intro quelque peu longuette, et passons aux choses sérieuses : il y en a bien quelques uns parmi vous qui seront intéressés par le récit de ces quelques jours. J'en connais au moins quatre. Car, première surprise du voyage, ce ne sont pas deux mais bien quatre fringants quincagénaires que je récupère à l'aéroport de Lima, sur le coup de cinq heures du mat', heure locale. Vl'à ti pas qu'en plus de Papa et Maman Chapuises, mes articles enthousiastes ont eu le bonheur de contaminer aussi Annie et Christian Gardilloux ! Pas de problème : plus on est de cagouilles et plus on rit, c'est bien connu. Histoire de se mettre tout de suite dans le bain, il manque un des sacs de Christian sur le tapis : merci Delta Airlines ! Quelques tractations seront nécessaires avant que l'on puisse s'assurer de le retrouver le surlendemain matin dans le petit terminal de bus de Chiquian, point de départ de notre périple pédestre.

Les deux premiers jours seront bien remplis. On commence par le transfert de Lima à Huaraz, que je ne présente plus à mes fidèles lecteurs (en relisant mes précédentes bafouilles, je retrouve dans le désordre ''le Chamonix'' ou ''le Kathmandou'' des Andes) : quatre cents kilomètres et près de huit heures de route quand même. C'est la première fois que je fais ce parcours de jour et çà en vaut le coup. Nous traversons progressivement tous les étages de la végétation péruvienne ; du désert côtier aux contreforts de la cordillère en passant par quelques oasis de palmiers. Le dernier col, avec ses 4100 mètres d'altitude nous met d'emblée dans l'ambiance : à perte de vue, on reconnaît les géants des Cordillères Blanche et de Huayhuash (notre destination) : le Huascaran - où je me dressais fier comme un coq, il y a un an presque jour pour jour - ferme l'horizon au nord avec ses 6768 mètres, le Yerupaja son homologue huayhuashien, le défit fièrement plus au sud du haut de ses 6634 mètres. Au premier plan, quelques troupeaux de lamas complètent ce tableau grandiose : y'a pas à dire ; le syndicat d'initiative de Huaraz fait bien les choses ! Un petit coup d'oeil sur mes voisins, et je m'aperçois que tous ne profitent pas autant que moi de ce superbe point de vue : entre ceux qui dorment, ceux que les virages ballottent et ceux que l'altitude assomme... Il ne faut quand même pas leur en vouloir : il y a tout juste vingt quatre heures, ils ramassaient encore des cagouilles au fond de leur jardin charentais ; comme acclimatation, il y a mieux !

A peine les sacs posés dans la pension de mon amie Zarela à Huaraz qu'il nous faut déjà penser aux courses, et nous voilà à sillonner le marché couvert à la recherche de nos 137 soupes, 6 kilos de riz, autant de pâtes, 76 paquets de gâteaux, 20 litres d'essence pour les réchaux, 4 kilos de confitures et j'en passe et des meilleures... C'est dans ces moments là que l'on pense avec une affection certaine aux ânes qui vont nous accompagner... Le soir même, à la pension, nous retrouvons Maximo, un paysan vivant près de Chiquian, qui va nous accompagner et nous guider durant ces quelques jours. Les prix sont vite négociés. On parle du circuit, des étapes, des derniers achats à effectuer demain pour compléter nos courses de la soirée. Finalement, ce seront huit ânes, un cheval, une tente d'intendance, Maximo et un de ses frères qui seront du voyage avec nous. L'entente avec notre guide est tout de suite excellente (merci Zarela...)  : çà promet pour la suite... Le lendemain, les européens sont sur pieds dès l'aube, décalage horaire oblige. Après un bon et copieux petit déjeuner ''continental'', un petit tour au marché en compagnie de Maximo qui n'a pas d'égal pour négocier les prix des oranges et des pommes, la provision de cartes postales en prévision des longues soirées aux bivouacs, et un dernier passage aux distributeurs automatiques (les derniers avant bien longtemps...), et il ne nous reste plus qu'à boucler sacs, caisses et bidons avant de rejoindre le terminal de bus.

Un peu plus de cent kilomètres seulement nous séparent de Chiquian, point de départ du trek, mais ce sera toute une aventure pour les parcourir ! Aujourd'hui, ''l'Expresso'' a soif, très soif ! Toutes les dix minutes, il n'est pas trop d'un litre d'eau pour refroidir ce qui reste du radiateur de notre bolide. Et comme il s'agit bien souvent d'aller chercher l'eau cent mètres en contrebas au fond d'un ravin, çà n'arrange pas la moyenne... Nous arriverons quand même juste à temps pour admirer un splendide coucher de soleil sur la face sud-ouest du Yerupaja  ; une bien belle façon pour le maître des lieux de nous souhaiter la bienvenue sur ses terres...

La nuit a été bonne pour tout le monde. Il faut dire que c'était la dernière sur un vrai lit avant une grosse dizaine de jours. A sept heures sonnantes, Maximo apparaît au coin de la rue alors que nous n'avons pas encore fini notre petit déjeuner. Il est bientôt suivi par son frère Zacharias qui conduit le troupeau de quadrupèdes bâtés. Notre réserve de nourriture constituée à Huaraz est complétée par une quinzaine de kilos de pain, commandé la veille par Maximo au boulanger du coin de la rue. Tout ce chargement est finalement bien imposant, mais ne semble impressionner ni Zacharias, ni ses ânes. Enfin, à huit heures et demie, cinq fiers randonneurs s'élancent à l'assaut des sentiers de Huayhuash. Christian (alias Boubou pour les intimes), le sourire aux lèvres et les Trezeta aux pieds depuis que l'on a récupéré son sac au terminal de bus avant de quitter la ville, mène la troupe derrière notre guide du jour, Irma, la femme de Maximo. Chiquian, Llamac : c'est un chemin qu'elle connaît bien pour avoir une maison dans chacun des deux villages. Combien de fois a-t-elle fait l'aller et retour ? ''Muchas veces'' nous dira-t-elle avec un grand sourire... Six à sept heures de marche dans le cagnard et la poussière quand même : une paille. Ici, les 35 tonnes sont remplacés par les caravanes d'ânes, et les galeries par des baluchons aux couleurs vives. Pas besoin de limitations de vitesse ni d'interdictions de doubler, le temps s'écoule différemment de chez nous... Cette première étape, après nous avoir fait descendre jusqu'au lit du torrent, vers 2700 mètres d'altitude, nous permet de poursuivre notre acclimatation entre petits champs et enclos cerclés de murets de pierres sèches. Cela ne sera pas sans mal pour certains d'ailleurs, dont je tairai le nom par peur de représailles... Choclito, notre monture de secours, ne pensait certainement pas devoir transpirer dès le premier jour !

Llamac, notre première étape, sera le véritable point de départ de la boucle. C'est sur le même terrain de foot, à deux pas du centre du village, que nous replanterons la tente dans neuf jours, après huit cols entre 4200 et 5000 mètres et autant de couchers et de levers de soleil somptueux sur les montagnes alentours. Ce soir, pour la première fois, nous nous retrouvons tous sous la tente mess que Maximo nous a dégottée. Un peu défraîchie (quel euphémisme !), mais spacieuse, elle nous permettra quand même de faire remonter la température ambiante de quelques degrés lors de la préparation et de la dégustation de nos repas. Allumer les réchauds, faire bouillir l'eau pour la soupe, les pâtes, le riz, les ''papas'', le quacker ou le thé, préparer les rations pour le pique-nique du jour, monter et démonter les tentes, faire et défaire les sacs, marcher et s'émerveiller, s'arrêter au bord du chemin pour casser une graîne ou tout simplement profiter du paysage, marcher et s'émerveiller toujours plus... : quelques unes des menues tâches qui rythmeront notre quotidien pour les jours à venir. Vivre au rythme de la nature ; se lever avec le soleil, dans le froid piquant de la haute altitude alors que les faces est s'illuminent une à une, le voir disparaître le soir venu et abandonner les montagnes environnantes, nos hôtesses d'une nuit, voilà ce que j'aime dans la rando...

Peu à peu, nous nous approchons de la haute montagne. Ces deux premiers jours où la montée est graduelle, viennent à point pour conditionner nos corps et nos esprits aux beautés qui vont suivrent. Plus que d'une acclimatation, c'est d'un véritable apprivoisement qu'il s'agit. Déjà, nous laissons le dernier petit village au milieu de ses champs de blé mûrs pour poser la tente sur les alpages de Matacancha, à 4100 mètres d'altitude, juste avant que l'orage n'éclate. La suite de la soirée sera humide sous notre chère tente mess : à vrai dire, vu son âge avancé, on ne pouvait décemment pas lui en demander plus !

Au petit matin, les désagréments de la veille se trouvent largement compensés par un splendide lever de soleil sur les hauteurs fraîchement enneigées du Ninashanca. Que c'est beau ! Et tiens, encore une diapo à retirer au retour ! La remontée de notre premier col se fait à la fraîche, dans un paysage exalté par le givre qui couvre chaque brin d'herbe. Au bout de presque deux heures de marche, vers 4500 mètres, quelle n'est pas notre surprise de croiser sur notre chemin une bergère en jupe et petites basquettes : on se sentirait presque ridicules nous, avec nos gros croquenots, nos batons et nos ''concepts trois couches''... Ce n'est autre que la femme de Zacharias, venue voir ses bêtes à l'alpage, comme tous les jours. Bientôt, les ânes et leurs guides nous rejoignent. Ils basculeront avant nous vers le versant est de la montagne. Ce col est important à plus d'un titre. Pour mes compagnons, il est le plus haut point jamais atteint jusqu'à ce jour. Pour la neige tombée dans la nuit, il marque la ligne de séparation des eaux : à l'ouest, les eaux de fonte rejoindront dans quelques jours les côtes du Pacifique. A l'est, elles flâneront pendant des semaines dans les méandres de l'Amazone avant d'alimenter l'Atlantique. Quant à nous, le choix est vite fait, la température ne favorise pas l'indécision : cap à l'est ! Nous plongeons rapidement de l'autre côté du col. Cette descente, sur un chemin boueux et glissant à souhait, me rappelle une autre après-midi avec mes parents dans le parc des Tours du Paine, au sud du Chili, il y a de celà presque trois ans. Le site du bivouac de ce soir est idyllique. Jugez plutôt : au premier plan, un petit replat tapissé de mousse au bord du lac Mitucocha. Au fond, barrant le ciel, les faces nord des Jirishanca, jamais lassées de se mirer dans les eaux limpides du lac... Au milieu de tout çà, quelques vaches paissant tranquillement, quelques truites scintillant au soleil et quelques touristes (= 5 Charentais, ne croyez quand même pas qu'un tel paradis est ouvert aux hordes de japonais en culottes courtes) ébahis par tant de beautés. Tiens, en parlant de truites, il y en aura même quelques unes d'assez sympas pour agrémenter notre repas de ce soir : garanties sans farine animale ! C'est finalement assez démotivant pour la suite du périple de trouver un tel coin où poser la tente dès le deuxième jour : on n'a vraiment aucune raison d'aller chercher plus loin ce que la montagne nous offre ici...

Enfin... il paraît que chaque étape recèle son lot de merveilles : la montée vers le col de Carhuac au milieu de champs enneigés par exemple, la traversée à gué sous le lac Carhuacocha, ou encore ce défilé sous le col Carnicero, où chaque détour du chemin nous offre des perspectives fabuleuses sur les faces est du massif. Dans le vallon de Huayhuash, près du hameau qui donne le nom au massif, nous établissons notre cinquième bivouac. L'occasion de rencontrer quelques unes des familles qui subsistent chichement en cultivant ces maigres terres, et de goûter à leur fromage, qui ne dépareillerait pas trop à côté de notre Etorqui et autres brebis des Pyrénées. Le col de Portechuelo, avec ses 4750 mètres, sera le dernier que nous franchirons le soleil dans le dos ; déjà, nous bifurquons vers l'ouest et commençons à refermer notre boucle. C'est là que juste après notre pique nique quotidien, nous tombons, à notre grande surprise, nez à nez avec un troupeau de lamas alpagas dans leurs pâturages estivaux. Emois dans la troupe des Charentais : ce n'est pas tous les jours en effet que l'on est amené à croiser ces charmantes petites bêtes laineuses sur les GR des Pyrénées ! ''Regarde celui-là comme il est trognon !'', ''Et les deux, derrière, qui se font des mamours !...''. Quelques rouleaux de peloches plus tard et l'excitation de la rencontre un peu retombée, il nous faut reprendre le chemin. Nous voilà déjà en vue du campement et de nos deux frères gardiens. La grande tente verte est déjà montée, et les bâts des ânes disposés sur les côtés, comme d'habitude. Ce soir, nous avons droit au plus formidable balcon qu'il soit possible de rêver : une cassure horizontale grande comme un terrain de foot, au milieu des pentes qui mènent vers le col de Cuyoc, point culminant de notre voyage. Un petit filet d'eau, 180 degrés de glaces, de neige, et de rocs face à nous, et surtout tout l'après-midi pour en profiter ! La rando dans ces conditions, moi j'aime !!!

Ce matin, au réveil, les visages sont bouffis et en disent long sur la qualité de la nuit. Ce ne sont pourtant pas les moustiques qui nous ont embêté. Il faut dire qu'à 4750 mètres d'altitude, je voudrais bien les voir, moi, vos moustiques ! A petits pas, sans se presser (il ne manquerait plus que çà, tiens !), nous nous approchons de la ligne fatidique des 5000 mètres. A chaque foulée, le paysage s'ouvre un peu plus dans notre dos et se ramasse devant nous. Un peu avant neuf heures, une violente bourrasque manque d'emporter mon chapeau tout neuf : ce sont les flancs ouest de la cordillère qui me souhaitent de nouveau la bienvenue. Une fois la troupe au beau complet et la photo souvenir obligatoire prise, nous entamons une nouvelle descente. A chaque pas, le paysage change, offrant de nouvelles perspectives au randonneur : ici, c'est l'énorme face sud du Carnicero qui joue avec les crêtes du premier plan ; là, c'est cette pousse de cactus fleurie qui est une invitation à la pause, et plus loin, c'est la vallée de Huanacpatay toute entière qui nous offre ses charmes, sans retenue aucune...

Ce soir, c'est presque le retour à la civilisation. Après le point le plus haut, nous plantons la tente au point le plus bas de la boucle, près du chef lieu de Huayllapa , à 3400 mètres d'altitude. Fête nationale oblige, c'est la fiesta ce soir au village, et les fanfares se font entendre jusque dans notre campement. Un petit tour dans le centre en quête de quelques denrées destinées à améliorer notre menu quotidien nous permet de partager l'espace de quelques instants la joie des paysans de la région : j'échappe de peu au baptême à la chicha locale - un alcool à base de maïs fermenté. Vu la grimace que fait Maximo en descendant son verre, je préfère décliner l'invitation avec un grand sourire.

Après la fête, les lendemains déchantent... 1400 mètres de dénivelé positif au programme pour rejoindre le col de Tapush, perché à l'altitude de notre cher Mont Blanc. J'en connais qui ont du râler contre l'ingénieur des Ponts et Chaussées péruvien responsable du tracé du circuit (non non, je vous rassure, ce n'est pas moi.) : ''tout allait si bien jusqu'à présent, çà descendait pas beaucoup, çà montait encore moins : la rando plaisir, quoi ! mais alors, aujourd'hui...''. Quelques Coramine Glucose ne seront pas de trop pour aider à remonter la dernière pente. Et là-haut, que trouve-t-on ? Je vous le donne en mille : deux charmantes petites bergères, l'une tricotant, l'autre en train d'étudier tranquillement sa leçon de Sciences Nat', le livre sur les genoux ; une vraie image d'Epinal ! Ah, elles nous mettent minables, nous les touristes ! Vous imaginez, vous, tomber sur deux petites Savoyardes en train de réviser leur tables de huit sur l'arête des Bosses ? Allez, rien de tel qu'un bon sandwich au pâté pour se remettre de telles émotions...

Les deux jours suivants sont certainement les plus grandioses du circuit : tous les 6000 de la chaîne sont là, sous nos yeux, et s'évertuent à nous étonner et nous émerveiller à chaque pas ; le point d'orgue étant sans doute l'arrivée sur le lac de Jahuacocha, l'emblème de la région. Ce dernier campement avant de rejoindre Llamac a pour nous une saveur particulière.

Le retour sur Llamac sera presque sans histoire, à part une petite erreur d'itinéraire de votre cher serviteur, qui nous vaudra bien trois heures de hors piste délicat : ''Bah, comme çà, çà nous aura permis de voir des colibris'' ont dit les enthousiastes, ''ouai, tu parles.'' ont rétorqué les autres (fatigués...). Au village, nous retrouvons Irma et ses filles ; toute la petite famille de Maximo et de Zacharias nous attendait avec impatience. Il faut dire que notre excursion avicole ne nous a pas raccourcit. Et c'est avec la famille que nous partagerons notre dernier repas, à la lueur de nos bougies. Maximo m'emmène ensuite chez lui pour me montrer sa collection de photos souvenirs : celle-là date des années 70 et d'une expédition de René Desmaison dans le coin, celle-ci de l'époque où Vallençant descendit en godillant la face sud-ouest du Yerupaja en moins de trente minutes... Tiens ! une carte postale de la Tour Eiffel, et ici une autre d'Oslo ! C'est promis, on lui enverra quelques unes de nos photos pour compléter son album.

Dans le bus qui nous ramène à Lima, le retour à la civilisation est quelque peu brutal : entassés comme des sardines, bringuebalés sur les pistes défoncées, dans un festival de bruits et d'odeurs suspects, nous avons du mal à digérer ces quelques jours passés hors du temps. La première partie de notre périple transandin est terminée : place maintenant aux charmes des citées et des temples incas, de l'altiplano et du lac Titicaca, mais çà, c'est une autre histoire !

 

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Cordillère du Pérou