SAMEDI 28 JUIN : de
Santiago à Huaraz
Çà y est, le
grand jour est arrivé... Des mois de rêveries,
des semaines de préparation, et enfin la
sonnerie m'arrache (le mot est faible !)
au sommeil. Trois heures quarante-cinq, ce
n'est pas une heure chrétienne... mais la
montagne mérite bien çà et malheureusement,
elle appartient à ceux qui se lèvent tôt. En
fait, ce n'est pas le réveil qui sonne mais
bien le téléphone, je me disais que cette
sonnerie était un peu forte. Ce brave Ricardo,
en tant que responsable du transfert des
troupes à l'aéroport, fait ainsi le tour de
cloche pour s'assurer que tout le monde est
sur pieds.
Quatre heures et
quart et un froid de canard... c'est que
l'hiver vient de commencer ici à Santiago. On
a du mal à croire que dans quelques heures on
suera à grosses gouttes dans les couloirs de
l'aéroport de Lima. Au moins, çà réveille. La
micro arrive à l'heure prévue (un
miracle au Chili ; l'expédition s'augure
bien !) avec à son bord la Susana et
Paulo, el Chino et el Tío Lucho coiffé d'un
beau béret péruvien (histoire de se mettre
tout de suite dans l'ambiance). Je suis
l'avant dernier de la liste et il ne manque
plus que Ricardo que nous récupérons quelques
rues plus loin.
A l'aéroport,
nous retrouvons le reste de la bande ;
Alejandra, tout sourire malgré l'heure
matinale, et enfin Felipe et Roberto, les deux
guaguas du groupe puisqu'ils n'ont
pas encore fêté leurs 18 ans. Nous y
retrouvons aussi tout le matos de l'expédition
que le père de Felipe à amené dans sa
camionnette : containers de nourriture et de
matériel technique : cordes, piolets,
crampons, mousquetons, broches à glace, estacas
(pieux à neige), coques plastiques,
tentes, réchauds et j'en passe et des
meilleures... : au total
347 kilos... Pauvres mules péruviennes,
j'espère qu'elles ont les reins solides !
Il y a là aussi une huitaine d'amis et
familiares de tout ce petit monde.
Les formalités d'enregistrement de bagages
terminées (merci Aeroperú pour nous permettre
40 kg de bagages par personne), la
dernière photo souvenir, les dernières
embrassades et recommandations et à sept
heures nous voilà dans l'avion. Attention,
décollage et c'est parti con destinación
a la Cordillera Blanca del Perú !
Dans l'avion,
l'enthousiasme général retombe un peu et
l'ambiance tourne au soporifique. Il faut dire
qu'après un beau lever de soleil, le paysage
devient vite monotone : de l'eau et
encore de l'eau à notre gauche (l'Océan
Pacifique), du sable et encore du sable à
notre droite (les déserts chiliens). D'autant
plus que les hôtesses ont dû laisser leur
sourire à terre, et rien à faire pour les
dérider...
Atterrissage
sans encombres à Lima (ouf ! finalement
il y a bien quelques avions de Aeroperú qui ne
se scrashent pas en vol...) à neuf heures,
heure locale, après trois heures dans les airs
(encore une fois la magie des fuseaux
horaires). Comme prévu, changement
d'ambiance : 25º, 80% d'humidité ;
pas de problème, on est bien plus près de
l'Equateur et on troque vite fait le pantalon
de polaire contre le petit short. Comme prévu
aussi, on retrouve Persi, un ami péruvien de
longue date du Tio Lucho, qui durant tout
notre séjour au Pérou sera d'une incroyable
gentillesse et efficacité pour résoudre tous
les problèmes de transport, location de mules,
achat de nourriture et souvenirs. Originaire
de Huaraz où il s'est occupé un long moment
d'organiser des séjours touristiques et des
expéditions (çà tombe bien !), il sera
pour nous plus qu'un accompagnateur (ce qui
est déjà beaucoup car rien ne vaut un guide
péruvien au Pérou...) et deviendra bien vite
le pote de tout le monde.
Seule fausse
note au tableau ; Andrew, mon ami gringo
et dernier membre de l'expédition,
n'arrive pas avec l'avion prévu. Apparemment,
un avion a été annulé au départ de Cuzco, où
il vient de passer une semaine touristique
entre le lac Tititaca et les ruines du
Machu-Pichu, laissant pas mal de gens en rade
(c'est çà le Pérou !). Je reste donc à
l'aéroport à attendre le vol suivant pendant
que le reste du groupe, sous la conduite de
notre Persi national va effectuer quelques
achats au supermarché du coin.
Deuxième vol en
provenance de Cuzco et las !, Andrew
n'apparaît toujours pas... La troisième fois
sera la bonne, ou presque puisque si Andrew a
pu monter à bord de l'avion, ses bagages sont
quant à eux bien restés à Cuzco... La
logistique de Aeroperú est apparemment
optimisable. Mais bon, on ne peut pas trop se
plaindre non plus ; nos quatre cents
kilos de matériel sont eux arrivés à bon port.
Ne pouvant attendre plus longtemps, nous
décidons de laisser le pauvre Andrew se battre
avec les hôtesses de Aeroperú pour récupérer
ses affaires dans les meilleurs délais. Il
nous rejoindra demain à Huaraz avec un groupe
de Suisses qui se trouve dans le même cas que
lui.
Vers trois
heures trente de l'après-midi donc, nous
embarquons dans notre micro et
commençons à avaler les kilomètres (environ
quatre cent cinquante) qui nous séparent de
notre prochaine étape : Huaraz, aux pieds
de la Cordillère Blanche. A peine sorti de
Lima, le paysage est une succession de dunes
de sable, parsemées de bidon-villages (on note
tout de suite la pauvreté du Pérou) et de
terrains d'entraînement militaires... Le
voyage est ponctué par les contrôles de
routine de la police (ou de l'armée, on ne
sait plus très bien...) :
"Pasaportes, ¿a donde van ?, ¿que van a
hacer ?"... Çà étonne la première
fois, au bout de la troisième, on s'habitue.
Le Pérou était encore il n'y a pas si
longtemps de cela une dictature militaire.
Initialement prévu en six à sept heures, le
voyage va finalement s'éterniser pendant plus
de onze..., c'est que çà monte :
brutalement réveillé par un saut de la
micro sur un nid de poule, je me
surprends à lire l'altitude de 4200 mètres sur
ma montre altimètre ! Pas de doute, on
est bien au Pérou !
Vers deux heures
et demi du matin, nous pénétrons enfin dans
Huaraz où à grands coups de klaxon
(apparemment ils ne connaissent pas le tapage
nocturne par ici), nous réveillons le
propriétaire de l' hostal où nous
allons loger les deux nuits suivantes.
Déchargement du matériel, découverte des
"chambres" (piaules serait un mot plus
adéquat ; la Posada Azul
n'est pas le Georges V mais bon, ce n'est pas
non plus le même prix..., on ne peut pas tout
avoir !) et on se jette dans les sacs de
couchage. Mon rêve de douche bien chaude
s'évanouit à la vue de l'installation
archaïque pompeusement appelée ducha
caliente. Tant pis ; on verra
demain quand il fera jour...
DIMANCHE 29 JUIN :
derniers préparatifs à Huaraz
Sonner du
clairon à 8 heures, encore une nuit bien
courte..., mais on n'est pas tous les jours au
Pérou, alors autant en profiter. Nous sommes
officiellement invités chez Persi pour le desayuno
à dix heures. En attendant, j'en
profite pour découvrir la ville en compagnie
de Felipe. Huaraz : 3091 mètres
d'altitude, 80.000 habitants et l'allure d'un
village (je ne sais pas où dorment les 80.000
personnes...). C'est la ville la plus
importante de la région et le point de départ
de toutes les expéditions qui se réalisent
dans la Cordillera Blanca (un peu
le Chamonix du coin avec le Huascaran en lieu
et place du Mont-Blanc). Située à deux pas de
cette cordillère, elle est surplombée par des
Nevados impressionnants ; çà
promet...
Côté urbanisme,
c'est un peu la désolation ; la moitié
des rues ne sont pas goudronnées, les piliers
des immeubles présentent la caractéristique
singulière de n'être pas terminés (les
armatures métalliques en sortent comme des
antennes, afin de permettre la construction
éventuelle de futurs étages...). Bref, çà ne
transpire pas la richesse. Un tour au marché
fruits et légumes, bien coloré, à celui des
viandes, bien bourdonnant (les mouches sont
légions et je décide sagement de modifier
quelque peu les premiers menus du lundi et
mardi : nous nous passerons de viande et
la remplacerons avantageusement par des
saucisses de Frankfort...), à celui des
vêtements ou autres ustensiles divers, bien
bruyant (les prix se discutent
fermement !), et nous voilà rendus à la Plaza
de Armas, au centre de la ville juste à
l'heure pour assister à une belle
démonstration patriotique avec défilé des
différentes écoles en uniforme, de la police,
de la gendarmerie, des gardes du Parc National
du Huascaran, des pompiers et j'en passe et
j'en oublie... le tout au son des différentes
fanfares et discours au micro. Renseignement
pris, c'est comme çà tous les dimanche matins
et dans la plupart des villes et villages du
Pérou depuis le récent conflit frontalier avec
l'Equateur il y a trois ans...
A dix heures,
nous nous retrouvons donc tous chez Persi où
nous prenons un bon petit déj' revigorant.
Nous faisons la connaissance de sa femme et de
ses deux petits jumeaux de sept ans bien
sympathiques. En tout cas, les Péruviens ont
le sens de l'hospitalité et on se sent tout de
suite comme chez nous. Le programme de la
journée est simple : derniers achats de
produits frais (fruits et légumes), quête de
renseignements sur les conditions en montagne
à la Casa de Guías
(malheureusement en effervescence suite à une
récente avalanche sur les pentes du Huascaran)
et répartition des charges que devront porter
les ânes à partir de demain. J'en profite
aussi pour faire mes premières emplettes de
souvenirs et de cartes postales. La rue
principale de Huaraz est aussi la plus
touristique avec ses magasins de matériel de
montagne (essentiellement de la location de
matériel vétuste laissé par des expéditions
antérieures), de photo et de souvenirs et ses
agences de tourisme d'aventure (andinisme,
trekking, rafting, canyoning... il y a de
tout). Vers six heures de l'après-midi, alors
que nous commencions sérieusement à être
préoccupés, Andrew fait son apparition,
rayonnant, avec toutes ses affaires. Il a
finalement passé la nuit dans un des meilleurs
hôtels de Lima aux frais d'Aeroperú avant de
récupérer ses bagages ce matin seulement et
d'effectuer le voyage dans la journée en
compagnie de la bande de Suisses. Comble de
chance, en bricolant un peu la douche,
j'arrive à obtenir un filet d'eau tiède :
quel régal, d'autant plus que ce sera le
dernier avant pas longtemps...
Ce soir, nous
invitons Persi au resto où je m'offre un
superbe Lomo saltado a lo pobre
(lamelles de viande de boeuf frites bien
assaisonnées et copieusement accompagnées de
riz, oeufs et banane frite ; un régal !)
pour la modeste somme de 6 Soles (environ 14
Francs !). La vie au Pérou est vraiment
bon marché ; rien à voir avec le coup de
la vie au centre de Santiago. Ici, un dollar
en poche suffit pour se croire riche !
Coucher avec les
poules ou presque à dix heures trente ;
on commence à rentrer dans le rythme montagne.
Le rendez-vous est pris avec Persi et la micro
demain matin à quatre heures (c'est
pas encore cette nuit qu'on dormira beaucoup),
et la journée risque ensuite d'être longue...
LUNDI 30
JUIN : marche d'approche, día uno
L'organisation
de Persi est sans faille et à quatre heures
cinq la micro est chargée et prête à partir.
Trois heures de chemins de terre nous mènent,
en passant par la petite ville de Caraz , de
Huaraz à Cashapampa, un hameau perché à 2950
mètres d'altitude, le vrai point de départ de
notre expédition. L'Alpamayo se rapproche...
Mais finis les avions ou autobus, ce sera
désormais à la force des mollets et des bras
qu'il faudra poursuivre notre aventure !
Notre arrivée au
village fait sensation et de nombreux gosses
partageront notre copieux petit déjeuner
pendant que les adultes font la chasse aux
ânes qui nous aideront à monter tout notre
chargement jusqu'au camp de base, deux jours
plus haut. Nous faisons aussi la connaissance
de deux Français qui viennent d'arriver au
Pérou pour trois semaines et qui projettent
aussi de gravir l'Alpamayo, nous les
retrouverons plusieurs fois au cours de cette
semaine.
Vers huit heures
trente, nos deux arrieros, Don Pedro
Caballero et son fils Julio, reviennent
précédés de nos sept ânes. Le temps de les
bâter, de les charger et la caravane s'ébranle
un peu avant neuf heures trente. Cette
fois-ci, pas de doute, on est bien
parti !
Les dernières
maisons dépassées, nous commençons à nous
enfoncer dans un cajón assez
encaissé (pour un cajón , c'est
plutôt normal...). C'est l'entrée de la quebrada
de Santa Cruz que l'on va remonter
jusqu'à demain midi. Le paysage est plus que
sympathique et me fait penser un peu aux Alpes
bien qu'en plus grandiose. Chaque lacet du
chemin laisse apparaître de nouvelles crêtes,
toujours plus hautes et plus lointaines ;
oui décidément, ces montagnes sont à une autre
échelle que celles que nous connaissons en
Europe... Nous longerons toute la journée le
torrent qui courre au fond de cette quebrada,
profitant d'une longue pause de deux heures à
l'heure du déjeuner pour profiter des
talents de cuistot du Tío. Il sera désigné à
l'unanimité cocinero en jefe de
l'expédition et à juste titre ; il n'a
pas son pareil pour transformer une minable
soupe Knorr en une potée succulente ou pour
préparer une salade de tomates à 4500 mètres
d'altitude !
Dans
l'après-midi, au fur et à mesure de notre
montée, je note la différence entre cette
partie péruvienne de la Cordillère des Andes
et celle du Chili : ici les nevados
effilés et élégants remplacent
avantageusement les cerros arides
et pelés qui entourent Santiago. Le paysage
est plus verdoyant dans la vallée ; enfin
un peu de végétation ! Par contre, la
faune sauvage est toujours aussi rare, ici
point de lamas ou de condors comme on pourrait
s'y attendre (j'ai lu Tintin et le Temple du
Soleil comme tout le monde !), mais
seulement quelques oiseaux peu farouches et
surtout des hordes de moustiques voraces qui
ne nous laisseront aucun répit jusqu'au
lendemain matin. Gare aux mollets et aux
avant-bras !
Le rythme est
bien tranquille (nos ânes ne sont pas des
bêtes de course...) et la montée est vraiment
très agréable, le coeur et les épaules légers
(les sacs à dos sont quasiment vides, ce qui
ne gâche rien). Qu'est-ce qu'on est bien, loin
des bruits et de la pollution hivernale de
Santiago ! Vers quatre heures de
l'après-midi, nous arrivons au terme de notre
première étape et déchargeons les ânes sur les
bords du lac Ichiqcocha, vers 3800 mètres
d'altitude. Nous y retrouvons nos collègues
Français déjà installés. Le campement est vite
monté et déjà les réchauds ronflent
allégrement. Soupe, salade de tomates, pâtes,
saucisses, fromage, mandarines... ; ce n'est
pas ce soir que l'on va mourir de faim !
La bonne humeur générale est alimentée par les
histoires du Tío, toujours à dormir debout, et
les huevadas de Roberto, le clown
de la bande. Le franchute et le gringo
sont à l'honneur depuis hier soir et
çà chambre dur !
Mais bien vite
tout le monde rejoint sa tente ; il ne
fait plus très chaud et surtout la journée a
été longue...
MARDI 1er
JUILLET : marche d'approche , día dos
Lever six
heures, enfin pas tout à fait pour tout le
monde... Il faut quasiment que je les sorte du
sac de couchage un par un ; pas bien
vaillante l'équipe ce matin ! C'est
qu'aujourd'hui, j'ai l'intention de m'avancer
un peu avec Andrew pour mettre toutes les
chances de notre côté pour notre ascension.
Classiquement, le deuxième jour de marche
d'approche mène les prétendants à l'Alpamayo
jusqu'au camp de base vers 4300 mètres
d'altitude. Ne disposant que d'une semaine
pour faire le sommet, nous avons décidé,
Andrew et moi, de dépasser le camp de base
pour bivouaquer en haut de la moraine qui le
surplombe. Autant de gagné pour demain
mercredi, ce qui nous permettra d'arriver plus
frais au camp d'altitude et d'envisager le
sommet pour jeudi ; beau programme sur le
papier...
Finalement,
j'arrive tant bien que mal à faire se lever
les plus fainéants à grands coups de promesses
d'un thé bien chaud. Je suis aidé par le Tío
qui, une fois de plus, a pris les choses en
main pour le petit déj'. Déjà le doux fumet
odorant de ses chapatis (galettes
de farine et beurre préparées sur place :
une recette ramenée d'une de ses expéditions
en Himalaya) fourrés à la saucisse, au fromage
et aux oeufs se fait sentir dans tout le
campement. Les premiers servis sont nos arrieros
Pedro et Julio que nous nourrissons
comme il se doit (cela fait partie du
"contrat"). A voir leur mine réjouie, çà ne
doit pas être mauvais !
Pendant que
Julio part de nouveau à la chasse aux ânes,
qui ont passé la nuit à brouter tranquillement
aux alentours du camp, nous réorganisons les
charges toujours dans la bonne humeur et ce
n'est vers neuf heures seulement que tous les
sacs sont près... ou presque ; Roberto a
le malheur de laisser traîner son assiette en
plastique et aussitôt s'improvise un match de
freesbee endiablé. Un bon échauffement pour la
journée à venir ! C'est un peu essoufflés
(on est quand même à 3800) que nous reprenons
la route pour rattraper notre caravane qui n'a
pas daigné nous attendre.
Ce deuxième jour
de marche d'approche nous fait pénétrer dans
l'antichambre de la haute montagne. Les
premiers nevados apparaissent en
ligne de mire, principalement le Rinrijirca
qui nous dominera toute la matinée du haut de
ses 5810 mètres et ferme le fond de la quebrada
de Santa Cruz, mais aussi le Pumapampa
qui nous offre sa face sud de toute beauté ou
le Caraz qui nous laisse entrevoir sa crête
sommitale enneigée à plus de 6000 mètres. Que
de merveilles entourent le lac
Iotuncocha ! La Cordillère Blanche est
autant le paradis du randonneur que celui de
l'andiniste...
Çà et là, nous
croisons quelques grimpeurs qui redescendent
et quelques Péruviens accompagnés de leurs
mules. Apparemment, la face SW de l'Alpamayo
est dans de bonnes conditions, génial !
Il n'en est pas de même en revanche de la face
nord du Quitaraju, second sommet convoité par
nos amis chiliens pour leur deuxième semaine
dans la vallée. Tant pis, ce ne sont pas les
montagnes qui manquent par ici. Je fais route
avec Andrew et Roberto, en éclaireurs et çà
continue de rigoler ferme... On ne risquerait
pas de voir de marmottes, même s'il y en
avait ! Vers onze heures, le chemin nous
fait traverser en diagonale le fond de la
vallée couvert de sable fin. Il ne manque que
le cri des mouettes pour se croire au bord de
la mer et l'on ne résiste pas au plaisir d'une
séance de bronzette intégrale en attendant le
reste du groupe. Ce n'est pas tous les jours
que l'on peut faire des châteaux de sables à
l'altitude de l'Aiguille du Midi !
Vers midi et
après une petite pause, le profil du sentier
change. Nous abandonnons la quebrada
de Santa Cruz pour rejoindre sur notre gauche
celle de Arhuaycocha plus abrupte. Enfin çà
monte ! A chaque lacet apparaissent de
nouveaux sommets et le paysage se fait plus
grandiose... D'abord l'impressionnant
Artesonraju dans notre dos puis enfin,
enfin ! le fameux Alpamayo que l'on
prendra toute l'après-midi pour le Santa
Cruz... Quelle honte ! Des semaines à en
parler et à en observer des photos et on n'est
même pas capable de le reconnaître une fois à
ses pieds... Il faut dire à notre décharge que
cette face de l'Alpamayo est la moins connue
de toutes et que, vu d'ici, il n'a pas sa
forme pyramidale caractéristique. Il n'en
n'est pas moins superbe de ce côté là
aussi ; à juste titre, certains la
considèrent comme la "montaña nevada la
más bella del mundo" ...
Peu après une
heure et demie de l'après-midi, après avoir
traversé des pâturages où déambule
tranquillement un troupeau de vaches (à 4200
mètres d'altitude tout de même !), nous
atteignons le camp de base où nous avaient
précédés les ânes et nos deux arrieros.
La végétation est ici incroyable et l'on a du
mal a réaliser que l'on est si haut. Le camp
de base se cache au milieu d'une véritable
forêt de queñuales, parsemée de
petits ruisseaux ; un enchantement... Don
Pedro nous remet vite de notre erreur en ce
qui concerne notre montagne et l'on s'attaque
aussitôt au déchargement et au tri du matériel
et de la nourriture. C'est que le temps presse
pour Andrew et pour moi si l'on veut monter la
moraine avant la nuit.
Vers quatre
heures enfin, nous sommes fin prêts et après
les inévitables photos souvenirs et les
dernières embrassades, nous quittons nos amis
chiliens... A nous la montagne !
L'euphorie des
premiers mètres s'évanouit bien vite ;
que les sacs sont lourds ; au moins 25
kilos, et que cette moraine est raide !
Cà tire la langue du côté des gringos.
Vers six heures, il nous apparaît évident que
nous n'atteindrons pas le sommet de la moraine
avant la nuit. Le bivouac va s'imposer, mais
où ? Tout n'est ici qu'éboulis inclinés,
rien de plat alentour. Au bout d'une
demi-heure enfin, il faut se résoudre à faire
avec les moyens du bord. Je trouve un rocher
vaguement horizontal où étendre mon tapis de
sol et Andrew dormira à même le sentier, à cet
endroit à peu près plat. Il faut espérer que
personne n'a prévu de redescendre au camp de
base cette nuit !
La soirée ne
commence pas trop mal et après un dîner
frugal, nous voilà bien au chaud dans les sacs
de couchage à compter les étoiles...
Las ! Peu avant minuit, celles ci
disparaissent et laissent place à un plafond
de nuages menaçants. Déjà les premiers flocons
de neige font leur apparition et c'est la
débandade dans nos rangs ! Pas question
de monter le tente bien sûr sur cette moraine
inclinée et on se protègera comme on
peut ; Andrew s'enroule dans le double
toit de la tente pendant que j'essaye de me
cacher sous le tapis de sol... Le reste de la
nuit sera plutôt humide, quel pied !
Mais.nous avons de la chance dans notre
malheur : à cette altitude (environ 4800
mètres) c'est de la neige qui tombe et çà vaut
toujours mieux que de la pluie.
MERCREDI 2
JUILLET : montée au campamento alto
Au petit matin,
la tableau n'est pas bien rose ; nos sacs
de couchage sont humides et malgré quelques
éclaircies passagères, çà n'en finit pas de
neiger. Le sommet de l'Alpamayo semble
s'éloigner de nous un peu plus chaque
minute... quelle déveine ! Mais restons
positifs ; au moins, pas de problèmes
pour se procurer l'eau pour le thé : il
suffit de racler la neige sur les rochers
environnants. Un peu avant huit heures, nous
avons la surprise de voir monter quelqu'un. Il
s'agit de Marco qui travaille comme porteur
pour un guide américain et son client, qui
sont en ce moment un peu plus haut au sommet
de la moraine. Nous l'invitons à se réchauffer
un peu autour d'un tarro de thé et
il nous transmet les nouvelles fraîches du
camp de base. Vu le temps, nos compagnons
chiliens vont différer leur montée au camp
d'altitude d'une journée. Catastrophe !
Nous n'avons qu'une seule corde simple de 50 m
pour l'ascension de l'Alpamayo car il était
prévu que toute la bande nous rejoigne ce soir
en haut avec une deuxième corde... "¿ Que
hacemos ?". Après quelques
instants de doutes et de découragement, la
décision est prise ; nous allons jouer à
fond la carte du beau temps. De toutes façons,
nous n'avons pas le choix, les jours nous sont
comptés. Je redescendrai au camp de base pour
chercher la corde pendant qu'Andrew fera
plusieurs navettes pour monter tout notre
équipement quelques dizaines de mètres plus
haut sous un énorme rocher que nous indique
Marco pour tenter de faire sécher les
affaires.
Et bien nous en
prend ! Le temps ne va cesser de
s'améliorer au cours de la matinée et la
motivation reprend le dessus. Mon arrivée au
camp de base fait sensation : "¿ Que
pasó ?". Je raconte rapidement
nos mésaventures en engloutissant un chapati
du Tío (au moins, je n'aurai pas tout
perdu en redescendant !), je charge la
corde et c'est parti ! Le rythme est bien
différent de celui de notre montée de hier
soir..., quel plaisir de marcher sans poids,
et sous un ciel de plus en plus dégagé. Je
retrouve Andrew alors qu'il effectue sa
dernière rotation, une heure et demie après
l'avoir quitté ; rien à voir avec les
deux heures trente de montée d'hier !
Nous patientons
une bonne heure, le temps que nos sacs sèchent
et nous reprenons le chemin vers le haut. Il
est malheureusement bien tard (onze heures et
demie) et mon projet de rejoindre le camp
d'altitude tôt cet après-midi pour pouvoir
envisager l'ascension demain matin tombe à
l'eau. Au bout d'une demi-heure, nous
chaussons les crampons (vraiment, il nous aura
manqué vraiment peu pour atteindre le sommet
de la moraine hier soir...) et sortons la
corde ; les choses sérieuses
commencent !
Nous passerons
plus de cinq heures sur le glacier à faire
péniblement la trace dans la neige fraîche
tombée dans la nuit. Heureusement, au milieu
de l'après-midi, les deux Français, plus en
forme et surtout moins chargés, nous
relaieront à notre grand soulagement. Ils
effectuent aujourd'hui un portage au col où se
trouve le camp d'altitude et redescendront ce
soir dormir sur la moraine. Le glacier est
bien crevassé et quelques ponts de neige ne
donnent pas envie d'y danser dessus ! Je
passe pour la première fois la barre fatidique
des 5000 mètres d'altitude, alors que l'on n'a
même pas encore dépassé la moitié du
glacier ; que c'est haut, que c'est
haut !
Vers six heures
enfin, nous sortons exténués du dernier mur
raide que surplombe le col, à 5350 mètres
d'altitude. La montagne se défend mais soyons
beaux joueurs, elle nous le rend bien
aussi ; nous débouchons au col juste à
temps pour admirer un coucher de soleil
fabuleux sur la face SW de l'Alpamayo :
quelle spectacle !
La tente est
vite montée et c'est calentitos
dans nos duvets que nous nous mijotons un
dîner bien mérité. Vu notre état de fatigue,
nous décidons de prendre un jour de repos
demain et reportons l'ascension à vendredi. Il
faudra être rapides pour rejoindre le camp de
base le jour même...
JEUDI 3
JUILLET : acclimatation au campamento
alto
Grasse mat' bien
méritée ce matin, enfin tout est relatif
puisqu'à huit heures, le réchaud ronronne déjà
depuis un bon moment. C'est qu'il faut faire
fondre des casseroles et des casseroles de
neige pour obtenir un litre de thé bien chaud.
Je constate avec plaisir que l'altitude ne
m'affecte quasiment pas, même si l'on n'a pas
effectué cette approche dans les règles de
l'art. Un léger mal de tête seulement au
réveil qui disparaît avec la première
aspirine. Il faut dire que le mal des
montagnes, ou sorroche comme ils
l'appellent au Pérou, se fait beaucoup moins
sentir ici que sur les cerros
chiliens par exemple. Située relativement
proche de l'Equateur (12º de latitude sud
seulement), la Cordillère Blanche du Pérou est
beaucoup moins aride et bénéficie d'une
atmosphère plus riche en oxygène, ce qui doit
expliquer entre autres pourquoi l'on trouve
encore des arbres au camp de base, à plus de
4300 mètres d'altitude.
Le temps est
aujourd'hui splendide et une cordée est déjà
engagée dans la face. Nous pouvons enfin nous
donner à coeur joie à l'observation de cette
fameuse montagne. L'emplacement du camp est
vraiment privilégié et constitue l'un des plus
beaux belvédères qui soient. La face NW de
l'Alpamayo a elle seule justifie bien sa
réputation ; c'est beau, c'est beau, et
c'est beau ! Et qu'est-ce qu'on est bien,
si haut. Un peu venté peut-être mais bon,
faudrait pas être trop exigeant quand
même ! Nous vérifions que la "voie
française" n'existe plus que dans les
topo-guides (un pan entier de la face s'est
effondré il y a deux ans juste à son attaque)
et observons la progression de la cordée un
peu plus à gauche , dans la classique "voie
Ferrari" que nous projetons pour demain. Mais
le spectacle ne se limite pas à notre montagne
fétiche ; la vue est aussi imprenable sur
le Santa Cruz (6259 m), le Quitaraju (6036 m)
et, lorsque l'on regarde vers le sud, sur le
massif imposant constitué par les sommets du
Huascaran (6768 m et point culminant du Pérou)
et ceux du Chopicalqui (6354 m). Que de
montagnes et que de projets potentiels !
Un peu avant
midi, nous partons en direction de la face,
histoire de nous dégourdir un peu les pattes,
de déposer un peu de matériel au pied de la
rimaye (toujours çà de moins à porter demain
matin) et surtout de voir d'un peu plus près
l'attaque de la voie. L'approche est un peu
pénible ; le vent ayant effacé la trace
faite par la cordée du matin, il nous faut
encore patauger dans la neige fraîche...
Heureusement, les sacs sont légers. Nous
mettons quasiment deux heures pour rejoindre
la rimaye et repérer l'attaque. La cordée a
déjà entrepris la descente en rappel de la
face et les deux Américains nous rejoignent
bientôt, tout heureux de leur succès. La voie
est apparemment en bonnes conditions,
principalement en glace ; çà promet pour
demain ! Nous entamons la descente pour
rejoindre le col et notre tente que nous
atteignons vers trois heures.
Nous passons le
reste de l'après-midi à batailler avec le
réchaud d'Andrew qui ne veut rien
savoir ; la pompe du réservoir à essence
est morte, nous voilà bien ! Cet incident
a bien failli me dégoûter à jamais des
soi-disant super réchauds MSR. Ah çà, quand
ils marchent, ce sont de véritables bombes,
mais leur fiabilité est à revoir...
Heureusement, nous avons de nouveaux voisins
qui viennent d'arriver et qui possèdent le
même modèle de pompe ; nous aurons de la
soupe pour ce soir et de l'eau pour
demain !
Le soleil nous
gratifie encore d'une belle lumière avant de
se coucher derrière le Santa Cruz, même si çà
ne vaut pas l'atardecer d'hier
(ciel dégagé oblige ; on ne peut pas tout
avoir). Nous nous enfilons vite fait dans nos
sacs de couchage où nous fourrons aussi tout
ce qui craint le froid (piles électriques,
chaussons, gants : il ne reste plus
beaucoup de place pour étendre les jambes mais
quel plaisir demain matin de trouver tout çà calentito).
A sept heures, extinction des feux ;
demain, c'est le grand jour !
VENDREDI 4 JUILLET : sur
les pentes de l'Alpamayo
Trois heures,
nos montres sonnent de concert. Il n'a pas
fait bien chaud cette nuit et tout est gelé à
l'intérieur de la tente. Vite la gamelle d'eau
est sur le feu qui heureusement ne joue pas
les capricieux ce matin. On s'habille
chaudement (la face reste dans l'ombre une
grande partie de la matinée), puis c'est le
rituel du baudrier, des crampons et de la
corde et nous voilà partis, rumbo al
Alpamayo.
Avec le froid,
la neige est ce matin beaucoup plus agréable
et nous ne mettons qu'un peu plus d'une heure
pour rejoindre le pied de la face que nous
atteignons au lever du jour. Une cordée est
déjà à l'oeuvre dans la voie ; il s'agit
du guide américain et de son client engagés
dans la première longueur à la frontale. Plus
bas derrière nous, viennent nos deux voisins
du col ; nous ne serons donc pas tous
seuls dans la face aujourd'hui. Andrew attaque
le passage de la rimaye peu après six heures.
Nous sommes retardés quelques minutes par la
cordée qui nous précède ; le client
apparemment un peu empoté a perdu un
crampon ! Heureusement pour lui, la
rimaye ne l'a pas avalé et, treuillé par son
guide, il peut redescendre le chercher. Çà ne
nous arrange pas trop, nous qui sommes
pressés... J'en profite pour admirer le lever
de soleil et les sommets qui, derrière moi,
s'illuminent un à un ; quel
spectacle une fois encore !
La première
longueur se libère enfin et nous rentrons tout
de suite dans le vif du sujet. La pente est
plus forte que ce à quoi je m'attendais et je
ne rechigne pas à perdre un peu de temps pour
poser quelques broches à glace. De relais en
relais, les longueurs s'enchaînent et le vide
se creuse entre nos jambes. Ambiance,
ambiance... Notre progression est lente mais
régulière jusqu'à la moitié de la face. Le
guide et son client sont déjà bien hauts, et
la cordée qui nous précédait finira par nous
dépasser. Une vingtaine de mètres sous le
rocher qui marque les deux tiers de la voie,
nous rencontrons une glace bien dure
recouverte de quelques centimètres de neige.
Impossible de s'y assurer correctement avec
nos pieux à neige, et comble de malchance, nos
broches sont rendues inutilisables par les
carottes de glace qui les remplissent et qui
avec le froid sont devenues indécollables...
J'installe un relais foireux avec mes deux
piolets et ce que je peux faire rentrer d'un
pieu à neige..., à ce moment, je n'en mène pas
trop large !
Andrew me
rejoint puis me dépasse pour poursuivre la
longueur suivante, et là, même problème ;
comment se protéger ? Les pieux se
tordent mais n'entrent pas et les broches sont
toujours aussi récalcitrantes. Une d'entre
elles, d'ailleurs, va se payer le grand saut
jusqu'au pied de la face... Dommage vu son
prix, mais dans ces moments-là, c'est le genre
de détails qui passe au second plan. Enfin
Andrew peut rejoindre le relais suivant qui
surplombe le rocher, mais combien de temps
aurons-nous perdu dans cette longueur ?
Trois-quarts d'heure, une heure ? Ce qui
est sûr, c'est qu'elle nous aura fait perdre
le sommet... Andrew est assez éprouvé, tant
physiquement que mentalement et moi je ne vaux
guère mieux après plus d'une heure pendu à mon
relais foireux ! Nous poursuivons une
longueur encore, moins délicate pour atteindre
l'altitude d'environ 5850 mètres. Le
champignon de neige suspendu qui marque
l'arête sommitale et la dernière longueur
semble à portée de main, soixante mètres tout
au plus. Mais il faut se rendre à
l'évidence ; il se fait tard (déjà onze
heures !), nous n'avançons pas bien vite
et il nous manque les broches nécessaires pour
protéger la longueur suivante, toute en glace.
Après un bref conciliabule, nous décidons que
le plus sage est d'entamer la descente.
Quelle
ironie !, si près du but..., soixante-dix
mètres, deux longueurs, çà ne parait rien
comme çà et pourtant, je continue à croire que
l'on a fait le bon choix. Il aurait été
possible de continuer si l'on n'avait pas eu à
rejoindre le camp de base le jour même, mais
mon avion part de Lima dimanche et il nous
faut être à Huaraz demain soir samedi au plus
tard... Il nous aura manqué un peu de
tout ; de chance pour le temps, de
technique et de résistance dans la voie,
d'expérience aussi... Quelle aventure tout de
même ! L'Alpamayo en une semaine, cela
valait le coup d'essayer. Mais c'est
ainsi ; la montagne ne se donne pas sans
résister et c'est ce qui fait son charme.
Nous commençons
donc la série de rappels qui nous ramènent
rapidement au bas de la face. Chaque relais
que je quitte m'éloigne un peu plus du
sommet..., avec tout de même un petit
pincement de coeur. Au pied de la voie, comme
pour nous redonner un peu d'entrain, nous
avons la bonne surprise de retrouver notre
broche "volante" solidement fichée dans la
neige de l'autre côté de la rimaye. Nous nous
accordons une bonne pause pour savourer toutes
les émotions de la matinée... En fin de
compte, je ne suis même pas trop déçu ;
on a joué, on a perdu mais qu'est-ce qu'on
s'est amusé ! Ce qui est sûr, c'est
qu'est en train de naître en moi une envie
furieuse de revenir dans cette région ;
il y a tellement de sommets à gravir et de
vallées à découvrir...
Bientôt, nous
sommes rejoints par le guide américain et son
client. Après les félicitations et les photos
d'usage, nous les laissons pour poursuivre
notre descente ; c'est qu'on n'est pas
d'ici ! Nous retrouvons la tente vers
deux heures de l'après-midi. Le campement
s'est agrandi avec l'arrivée de nos deux amis
Français. Après leur avoir conté nos
aventures, nous remballons le campement et
leur léguons la quasi-totalité de la
nourriture qui nous reste (et dieu sait si il
en reste ; je comprends maintenant
pourquoi nos sacs étaient si lourds à la
montée). Nous leur confions aussi un peu de
matériel (corde, pieux, piolets) pour nos
compagnons chiliens qui devraient arriver
d'ici peu et entamons la descente du col. Un
dernier regard en arrière sur la voie Ferrari
et nous basculons en versant sud.
A quelques
mètres seulement sous le col, quelle n'est pas
notre joie de retrouver toute la bande de
joyeux Chiliens. Accolades, embrassades,
rapide récit des péripéties des uns et des
autres, ultimes recommandations et nous
poursuivons chacun notre chemin. La descente
du glacier est moins laborieuse que sa montée
mais la fatigue de ces deux jours passés au
dessus de 5300 mètres d'altitude se fait
sentir et c'est avec soulagement que, vers
cinq heures et demie, nous prenons pied sur la
moraine. A peine le temps de souffler et nous
voilà déjà repartis vers le bas. Quelle est
longue cette descente..., quand je pense que
je n'ai mis qu'une demi-heure avant-hier pour
aller chercher la corde ! La nuit nous
surprend une fois de plus, mais cette fois-ci,
nous connaissons le chemin...
Peu après sept
heures, exténués, nous arrivons enfin au camp
de base où nous avons la joie de retrouver
Ricardo. En petite forme, il a préféré rester
au camp de base plutôt que de retarder les
autres dans la montée. Il se rattrapera la
seconde semaine. Nous mourrons de faim et
Ricardo s'improvise en un tour de main chef
cuistot en remplacement du Tío. Soupe, purée,
pâté, thon, mayonnaise, fromage, pain..., tout
y passe. Il faut dire qu'en altitude on mange
relativement peu tout en dépensant pas mal
d'énergie. Marco, que nous avions connu sur la
moraine, se joint à nous et nous l'invitons à
partager notre "festin". Malgré la fatigue,
nous poursuivons cette soirée dans la bonne
humeur, la dernière que nous passons dans la Cordillera
Blanca ...
SAMEDI 5
JUILLET : et l'aventure continue...
Ah quelle bonne
nuit ! Vers sept heures, un peu
courbaturés, nous émergeons à contrecoeur de
nos duvets douillets. Marco nous a certifié
hier soir que l'on ne met pas plus de cinq
heures pour rejoindre Cashapampa. Nous prenons
donc tout notre temps pour déjeuner, préparer
les sacs (qui une nouvelle fois vont peser
lourds sur les épaules...) et admirer une
dernière fois l'Alpamayo. Une petite pensée
pour nos amis chiliens qui, si tout se passe
bien pour eux, doivent être en ce moment même
engagés dans la voie, une dernière despedida
de Ricardo, et vers neuf heures nous
voilà partis, la fleur entre les dents, sans
la moindre idée de ce qui nous attend...
Si la montée de
cette quebrada de Santa Cruz était
des plus agréables, sa descente va en effet
s'apparenter à un véritable chemin de croix.
Nous devons arriver à Cashapampa avant trois
heures cet après-midi pour profiter du dernier
colectivo qui descend à Caraz, dans
la vallée. Confiant dans l'horaire que nous a
indiqué Marco, nous entreprenons la descente
tranquillement. Au bout d'une heure, nous
rejoignons la quebrada de Santa
Cruz et commençons à traverser sa plage de
sable en diagonale. La pluie de mardi soir a
singulièrement transformé le terrain et
soudain, Andrew se retrouve les pieds pris
dans la boue, incapable de s'en sortir :
des sables mouvants ! Çà y est, j'ai
compris pourquoi on n'aperçoit pas la
mer ; nous sommes au Mont-Saint-Michel à
marée basse ! Je l'aide à en sortir et
nous rejoignons à grand peine la terre ferme
quand tout à coup, on nous appelle à grands
cris : " ¡ Gringos, por favor,
vengan a ayudarnos . ..!! ".
Tant absorbés
que nous étions par la recherche d'un chemin
plus consistant vers la terre ferme, nous
n'avions pas remarqué ce groupe de trois
Péruviens à une centaine de mètres. En y
regardant de plus près, nous nous apercevons
que ces trois campesinos sont en
fait en train d'essayer de sortir des sables
mouvants une vache, qui a eu le malheur de
s'aventurer un peu trop loin. Que
faisons-nous ? Dilemme ; d'un côté,
le colectivo de trois heures et
l'avion pour Santiago, de l'autre cette pauvre
bête bloquée dans la boue... Finalement,
voyant le peu de méthode employée par les
trois Péruviens (ils espéraient sortir la
vache en la tirant par la queue et par les
cornes...), nous décidons d'aller donner un
coup de main.
La tâche est
loin d'être facile et il nous faudra plus
d'une heure et demie, creusant, tirant ou
poussant à l'aide de cordes et de bouts de
bois trouvés dans les alentours, pour
qu'enfin, nous arrivions à extraire la vache
du sable. Las ! la pauvre bête, malgré
tous nos encouragements, reste étendue sur le
sol, incapable de se redresser... Nous lui
avons certainement cassé quelque chose dans la
manoeuvre... Ne pouvant plus rien pour elle,
nous l'abandonnons à son triste sort et il est
quasiment midi quand nous reprenons le chemin
de la descente, crottés et nos vêtements
imprégnés d'une forte odeur de vache...
La descente
infernale commence ; trois heures pour
rejoindre Cashapampa, çà s'annonce
difficile... Au pas de course, nous retrouvons
tous les paysages de la montée ; le lac
Iotuncocha, celui de Ichicqocha à côté duquel
nous avions passé notre première nuit. Mais
malheureusement, nous ne disposons pas d'une
minute pour profiter une dernière fois de ces
paysages ; l'heure tourne et bien trop
vite à notre goût. Après avoir changé de
chaussures (mes coques plastiques m'ayant
gratifié de superbes ampoules !), je
passe la vitesse supérieure et pars en
éclaireur, les yeux rivés sur ma montre. Bien
vite pourtant, il faut se rendre à
l'évidence ; nous n'arriverons jamais en
bas avant trois heures. ¡ maldita
vaca ! Andrew me rejoint dans les
derniers mètres et c'est dans un état
lamentable que nous arrivons enfin à
Cashapampa : suants, puants, déshydratés,
morts de fatigue, nous posons nos sacs vingt
minutes après le passage du dernier colectivo...
Mais notre
désespoir n'est que de courte durée, on nous
assure que de temps en temps passe une
camionnette qui, pour quelques Soles, peut
nous descendre jusqu'à Caraz. Il ne nous reste
plus qu'à attendre... Nous en profitons pour
nous réhydrater avec force bouteilles de
Coca-Cola et Fanta (le retour à la
civilisation est sans transition !) au
"bar" du coin, stratégiquement placé à la
sortie du chemin, et pour nous faire une foule
de petits amis. Chaque nouveau groupe de gringos
qui apparaît est aussitôt entouré
d'une nuée de gamins quémandant une pièce ou
quelque chose à se mettre sous la dent.
Malheureusement pour eux, il nous reste très
peu de nourriture, ayant tout laissé au camp
de base pour nos amis chiliens. Nous arrivons
quand même à contenter la dizaine qui nous
entoure avec le pain, le fromage et les
cacahuètes, vestiges de notre repas de midi
que nous n'avons pas eu le temps de prendre...
Vers cinq
heures, enfin, apparaît une camionnette sur le
chemin. Après une brève négociation du prix
(pas fou le chauffeur, il voulait nous faire
payer cinq fois le tarif normal...), nous
grimpons à l'arrière au milieu de sacs de
fruits et de légumes en compagnie d'une
Péruvienne accompagnée de ses deux petites
filles et d'une Suissesse qui, comme nous,
était restée en rade à Cashapampa. Un dernier
coup d'oeil à l'entrée de la quebrada
de Santa-Cruz et la descente cahoteuse
commence. A chaque virage, disparaissent un
peu plus les nevados qui nous ont
entourés toute cette semaine. Une chose est
sûre désormais ; je serai de retour dans
le coin l'année prochaine. Pas encore parti et
déjà une folle envie de revenir !
Nous traversons
de nombreux hameaux où nous ne passons pas
inaperçus ; les gamins nous saluent à
grands cris de "¡ Holá, gringos !"
, auxquels nous répondons à leur grand
étonnement (apparemment, la majeure partie des
gringos de passage ne parlent pas
un mot d'Espagnol) "¡ Holá,
Peruanos !". Nous atteignons
Caraz à la tombée du jour où, au milieu du
marché, nous changeons de colectivo
pour poursuivre jusqu'à Huaraz. Les gens nous
regardent un peu de travers (il est vrai que
notre aspect est toujours aussi repoussant)
mais nous ne devons pas être les premiers
qu'ils voient dans cet état...
A Huaraz, il
nous reste peu de temps avant le bus de
vingt-deux heures pour Lima pour passer chez
Persi et boucler nos sacs. Une vague douche
tiédasse (le système archaïque de la Posada
Azul a l'air d'être le standard au
Pérou...) nous donne un aspect un peu plus
présentable même si Andrew n'a plus de
pantalon de rechange ; une persistante
odeur de vache nous accompagnera donc jusqu'à
l'aéroport demain soir ! Nous saluons ce
brave Persi qui aura été sympa et serviable
jusqu'à la dernière minute. Rendez-vous est
déjà pris pour l'année prochaine ! Une
bonne surprise nous attend dans le bus à la
vue des imposants sièges Pullman
molletonnés ; je ne pensais pas trouver
tant de confort dans un bus péruvien (comme
quoi, il faut se méfier des préjugés...). La
fatigue de la journée nous plonge bien vite
dans un sommeil peuplé de montagnes
merveilleuses et paysages grandioses...
DIMANCHE 6
JUILLET : paseo en Lima
Un peu après
cinq heures du matin, le bus arrive dans les
faubourgs de Lima. Suivant les instructions de
Persi, nous nous jetons dans un taxi qui nous
conduit près de l'aéroport à l'appartement
d'une certaine Señora Olga, chez qui notre ami
loue une chambre à l'année..., enfin une pièce
qui sert plutôt de débarras qu'autre chose
mais qui nous conviendra parfaitement pour
laisser nos affaires à l'abri pendant la
journée. Le quartier est plutôt sinistre et
n'inspire pas confiance ; preuve en est
que la fameuse Señora Olga, après que nous
l'ayons réveillée, refuse d'abord de nous
ouvrir prétextant qu'à cette heure matinale le
quartier est bien trop dangereux pour
s'aventurer dehors ! J'obtiens enfin
qu'elle me passe par sa fenêtre les clés de la
piaule de Persi où nous pénétrons avec
soulagement... Nous formions vraiment une
proie de choix pour les ladrones potentiels :
deux gringos lourdement chargés perdus dans un
quartier"craignos" de Lima à cinq heures du
mat'...
Après nous être
allongés quelques instants sur un matelas
éventré et poussiéreux qui traînait dans le
coin, nous attendons que la lumière du jour
rende les abords de l'appartement un peu plus
sûrs pour partir à la découverte de Lima. Le
programme de la journée est simple :
écumer la feria de artesanía de
l'avenue de la Marina à l'autre bout de la
ville. Le trajet en colectivo nous
donne un rapide aperçu de ce qu'est
Lima ; pas de doute, le Pérou n'est
encore très pauvre et il faudra encore
certainement de nombreuses années avant que
Lima ne ressemble à Santiago.
Nous arrivons au
fameux marché alors que la majeure partie des
locales ne sont pas encore ouverts.
Commence alors une journée de marchandage bien
sympathique. Le jeu n'a pas de règles et tout
y passe ; feinte de désintéressement,
menaces, étonnement, fraternisation, charme...
tout est bon pour obtenir la remise
maximale ! Vers dix huit heures, les sacs
remplis à craquer de bonnets, pulls, tapis,
poteries, chemises, bijoux, chapeaux, écharpes
ou autres tonterías en alpaca,
nous retournons à notre chambre. Mon avion
décollant peu après minuit, il nous reste
quelques heures pour visiter le centre de
Lima. Nouveau trajet en colectivo
bien folklorique, l'aide du chauffeur
n'arrêtant pas de héler les passants à grands
cris pour les inciter à monter dans sa micro
plutôt que dans celle du concurrent
juste devant lui...
Le centre de
Lima est un peu plus présentable que les
alentours de l'aéroport mais on en a vite fait
le tour et après avoir discuté un long moment
sur la Plaza de Armas avec
quelques jeunes péruviennes en écoutant un
groupe jouer de la musique andine, nous
rejoignons de nouveau l'appartement de la
Señora Olga. Par chance, nous hélons un taxi
qui était en maraude dans le coin (autant ne
pas trop s'attarder avec nos sacs bien
remplis...) et nous filons directo
à l'aéroport. Dans les couloirs, on continue à
regarder Andrew un peu de travers (malgré tous
ses efforts, son pantalon exhale toujours une
subtile odeur de vache bovine !), mais
nous ne sommes plus à çà près... Les bagages
enregistrés (j'ai heureusement encore droit à
mes 40 kilos), je laisse Andrew pour aller
prendre mon avion. Le gringo ne
rentre que demain sur Santiago et passera la
nuit dans notre fameuse chambre.
Jamais aucun vol
ne m'a paru aussi court ; endormi à peine
l'avion décollé, je ne me réveille que sur la
piste de l'aéroport Arturo Merino Benitez de
Santiago... L'aventure touche à sa fin et la
température bien fraîche de cette fin de nuit
santiaguina me tire bien vite de
mes rêveries. De nouveau le Chili, les mêmes micros
toutes jaunes, les mêmes rues... Que
cette semaine a passé vite !
Epilogue
Le temps de
prendre une bonne douche brûlante (enfin,
depuis le temps que j'attendais çà !) et
me voilà déjà en route pour le bureau... Quel
déphasage en si peu de temps ! Je
retrouve avec plaisir mes collègues même si
savoir que, comme d'habitude, ils devaient
être pendus au téléphone au moment même où
j'étais pendu à mon relais foireux me fait une
drôle d'impression...
Le lendemain
mardi, je passe voir Andrew à mon retour du
bureau. Le pauvre n'a pas trop profité de son
deuxième jour à Lima. En revenant d'une
ballade dans le quartier Miraflores, il s'est
fait agressé à l'intérieur de la micro
dans laquelle il se trouvait. Heureusement
pour lui, plus de peur que de mal, et la
mésaventure ne lui aura coûté que les
cinquante dollars qu'il avait en poche... La
sensation d'insécurité que l'on avait aux
alentours de l'appartement de la Señora Olga
était donc bien fondée.
Toute la
semaine, j'ai une petite pensée pour nos amis
chiliens qui continuent leur vadrouille dans
la Cordillera Blanca... Le dimanche soir, à
mon retour d'une journée de ski fabuleuse à
Valle Nevado (comme quoi, on s'amuse pas mal à
Santiago non plus), je reçois un coup de fil
du Tío, puis de Ricardo et enfin de
Roberto...si avec tout çà je ne suis pas bien
informé ! J'apprends le succès à
l'Alpamayo des deux guaguas du
groupe ; Roberto et Felipe sont en effet
les seuls à avoir réussi le sommet, les autres
ayant abandonné fatigués ou manquant de
motivation... Même disposant de plus de temps,
ce n'était donc pas si facile que cela. Un peu
étonné, j'apprends aussi la brouille entre
Susanna, Paulo et Alejandra et le reste du
groupe pour une sombre histoire d'emplacement
de tente ; les relations de promiscuité
ne sont pas toujours faciles... Rendez-vous
est pris pour samedi prochain chez le Tío pour
un asado qui promet d'être
grandiose. Ce sera l'occasion d'échanger les
photos et de voir la vidéo que Felipe a filmée
pendant ces quinze jours (avec en prime les
images de l'ascension et du sommet !) et
surtout celle de fêter la despedida
de Andrew qui retourne définitivement aux
Etats-Unis le jour suivant...
Une foule
d'images, de merveilles et de souvenirs, des
découvertes, de la camaraderie, des émotions
fortes et des fatigues... Ce fut tout çà et
plein d'autres choses encore, cette expé Wechupun-Cordillera
Blanca . L'expé 97 est morte ;
vive la 98 !
